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Général Patafouin
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Lun 7 Fév - 20:42
Fragments - Partie IV D316a610

— Reprendrez-vous un peu de vin, Avinissë ?



— Très volontiers, je vous remercie. C'est un véritable régal. D'où vient-il ?


— De Russafeld. Il date de l'an 532, une excellente année.


— Je m'en souviens. Nous n'avons point connu autant d'ensoleillement que depuis cette année-là. Ce doit être de là qu'il tire un goût si délicat et fruité. C'est un pur raffinement.


— 532, n'était-ce pas l'année où les travaux de restauration de la grande chapelle ont pris fin ?


— Oui, quelle chance que tant de généreux donateurs aient contribué à la sauvegarde de notre patrimoine !


— À ce propos, j'ai entendu des rumeurs préoccupantes. Il paraîtrait que le Roi discutait d'une éventuelle ouverture de nos frontières et d'un assouplissement des règles pour les visiteurs au Couchant.


— Comment ? Oh non, il doit s'agir de billevesées, jamais le Roi ne permettrait une chose pareille. Il a trop a coeur la préservation de notre culture. J'ose à peine imaginer le désastre si l'on venait à autoriser davantage de nebarras à venir chez nous. Que viendraient ils faire ici, de toute façon ? Ils ne comprendraient rien à notre culture et à nos coutumes. Ils ne se sentiraient pas à l'aise et nous non plus. Nous passons des années à apprendre un protocole et un code de conduite, ils ne pourraient pas les apprendre en quelques jours.

— Il est vrai que leur venue n'aurait pas le moindre sens. J'ai déjà du mal à comprendre ceux d'entre-nous qui quittent l'Archipel, alors je comprends encore moins les étrangers qui voudraient y venir...



— Et vous, qu'en pensez-vous, Menduil ? Même du point de vue de la sécurité, vous ne pensez pas que cela rajouterait une charge de travail inutile à la Poursuite Divine ?


— Assurément. Je suis convaincu que le Couchant n'a pas besoin de cela. Toutefois, je pense que notre présence dans les autres régions de Tamriel peut être un atout, afin de rappeler aux peuples qui foulent ces terres, qu'autrefois les Aldmeris dominaient ces lieux. Nous avons tout autant notre place là-bas qu'ici. J'ai bon espoir qu'un jour notre peuple reconquierre son hégémonie.


— Vous avez l'âme d'un véritable conquérant, Commandant. Nul doute que vous ayez mérité ce grade. Et les dieux vous ont donné la chance d'avoir un fils qui pourra prendre la relève du prestige que vous lui léguerez. Bon nombre d'entre-nous vous envient, vous savez.


— Oui, Aesril a de nombreux talents. Toutefois, j'ignore encore si la Poursuite Divine pourra lui convenir. Il est capable d'une grande rigueur quand il le veut bien, mais je le trouve encore trop individualiste.


— Il pourrait pourtant faire un bon mage de guerre. Il paraît qu'il a d'excellentes capacités en magie de destruction.


— Il ne suffit pas d'être talentueux. Il y a également un aspect social qui ne s'apprend pas dans les livres. Une compétence qu'il devra développer.


— Mais où est-il, d'ailleurs ? Je ne l'ai pas vu de la soirée. Je crois que ces jeunes dames seront quelque peu déçues s'il n'est pas là pour partager quelques danses avec lui.


—Il ne devrait plus tarder. Il travaillait ses leçons très tard, répondit Menduil, impassible.


— Son acharnement est admirable, mais votre fils devrait relâcher un peu la pression de temps en temps.


— Oui, en effet, il en fait trop... Si vous voulez bien m'excuser un moment.


Le Commandant s'inclina respectueusement face à ses invités avant de se diriger vers un domestique occupé à servir des rafraîchissements. D'un geste vif, il se pencha vers l'oreille de celui-ci avant de murmurer d'un ton péremptoire :


— Trouvez-moi Aesril, voulez-vous ? Je ne sais pas où il est encore passé, mais son absence  commence à se faire remarquer. Fouillez la ville, s'il le faut, mais débrouillez-vous pour qu'il honnore ses engagements.


— Oui Monsieur répondit le domestique, abandonnant son poste sans plus attendre tandis que le Commandant, nerveusement, regagnait ses convives.


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❈ ✥ ❈


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Quelque part, près du quartier du port d'Étincelance, dans une taverne clandestine, un matelot Rougegarde manifestement ivre s'époumonait bien fort, visiblement déterminé à se faire entendre de tout le quartier.


— Tu te crois plus malin que moi, espèce de petit merdeux ? Laisse-moi te dire une bonne chose : c'est pas parce que t'as des oreilles pointues et une belle gueule que ça te rend meilleur que moi. T'es qu'un petit con d'elfe doublé d'un tricheur. Rends-moi mon or, si tu veux pas que j'te transperce de ma dague.


— Ce n'est pas de ma faute si tu ne sais pas jouer à un simple jeu de dés. Tu retenteras ta chance un autre jour.


— Qu'est-ce qu'il a dit le gamin ? fulmina l'homme, hors de lui, l’attrapant par le col de sa chemise. Si tu crois que j'sais pas que tu te sers de ta magie d'elfe de merde pour gagner, tu te mets le doigt dans l'oeil, mon garçon !


En face de lui, le jeune Altmer, tentant de masquer son angoisse, esquissa un sourire en coin, une lueur de défi espiègle dans le regard.


— Si je me servais de ma magie, tu serais déjà mort et je n'aurais plus qu'à empocher ton or sans avoir à perdre mon temps dans une stupide partie de dés. Qui plus est, avec les gens la plupart du temps, inutile d'utiliser la magie. Être intelligent suffit.


— Comment ? Tu veux mourir, c'est ça ?

D’un geste, le Rougegarde repoussa le jeune Mer en arrière, le projetant sur sa chaise.



— Figure-toi que des types comme toi, j'en ai crevé plein et des forts en plus. Des mages qui se croient tellement doués qu'ils pensent que rien peut les atteindre. Eh ben ça n'a pas empêché ma dague de leur traverser la gorge ! - lança l’homme, tirant sa lame hors de son fourreau avant d'y déposer un baiser sur le plat.


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L'Altmer darda ses yeux verts et intenses dans ceux du matelot. Il savait pour l'avoir expérimenté à de multiples reprises que son regard avait la faculté de déstabiliser les gens. Depuis qu'il avait fait ce constat, il se réjouissait d'user de ce talent pour donner une tournure dramatique à ses interactions et procurer de la puissance à ses paroles.

— C'est ce que j'ai entendu dire, oui. C'est pour ça que je suis là. Alors, tu veux te battre ou est-ce que finalement je t'impressionne tellement que tu as peur de perdre ? Parce que pour l'instant, tu parles beaucoup, mais je ne te vois pas vraiment agir. À moins que tu penses qu'un gamin tel que moi a vraiment une chance de te tuer ?



Le Rougegarde écarquilla tellement les yeux qu'ils parurent sortir de leur orbite.


— P... Peur ? Moi ?


Il releva fièrement le menton, dévisageant l'Altmer, avant d'éclater d'un rire sardonique, pointant sa dague en direction du jeune Mer, repoussant la table devant eux, manquant de faire basculer à la renverse son interlocuteur.


— Hahaha ! Non, mais tu te moques de moi ! Kafiir le Sanglant jamais ne tremble devant un elfe et encore moins un gosse, fusse-t-il magicien ou pas !


Le coeur battant, avec un sentiment mêlé d'excitation et de nervosité l'Altmer se redressa pour se préparer à l'affrontement, avalant d'une traite le contenu de sa chope, plaçant les poings devant son visage, fléchissant légèrement les jambes. Il prit une profonde inspiration pour détendre sa voix, sans grand succès.

— Viens. Je t'attends.



L'homme rit de plus belle en voyant la posture du jeune Mer désarmé et en entendant le mince filet de sa voix peu assurée. Bien qu'il le dépassait d'un bonne tête et demie, sa stature était frêle en comparaison avec la masse de muscles nerveux que représentait son adversaire humain.


— Tu dois vraiment vouloir mourir, gamin ! Pas d'armes ? Pas même de bâton ? Tu comptes vraiment m'affronter aux poings ?


L'Altmer imita l'air hautain de la plupart des Haut-Elfes, baissant les paupières avec dédain, relevant le menton, juste pour provoquer son adversaire.


— Pour un homme de ta race, tu parles beaucoup, je trouve, c'est étonnant, on dirait presque que les dieux t'ont doté d'un cerveau.


Le Rougegarde se rua alors sur le jeune impudent, et l'assaillit de nombreux coups de dague. L'homme, malgré sa stature musculeuse était vif et agile et sa lame passa à de nombreuses reprises près du visage du Mer. Toutefois, celui-ci lui échappait toujours, esquivant chaque assaut avec une facilité déconcertante. Et chaque fois que l'homme frappait et manquait sa cible, il enrageait un peu plus. Au bout de plusieurs minutes de combat, le Rougegarde, furibond et essoufflé lui jeta un regard assassin.


— Vas-tu cesser de fuir et m'affronter honorablement, comme un homme ?


— Ce ne serait pas drôle. Je te parie que je n'ai besoin que d'un seul sort pour te terrasser. Et puis... tu oublies que je ne suis pas un homme.


— Un seul sort, hein ? Pfeuh, sale gamin prétentieux, cracha-t-il en faisant mine de rengainer sa dague avant de la lancer en direction de l'Elfe.


La lame effleura le visage de l'Altmer laissant une marque rouge vif sur sa peau dorée, lui tranchant au passage une mèche de cheveux blonds cendrés et la dague partit se ficher dans un mur derrière lui, sous les cris effrayés des badauds alentours. Il passa son index et son majeur sur sa joue droite pour les ramener sous ses yeux constatant que du sang maculait ses doigts. Profitant de cette diversion, le Rougegarde sortit une seconde dague de sa botte, se préparant à se jeter sur lui.


Ce qui s'en suivit ne fut ni spectaculaire, ni sanglant, ni même un tant soit peu impressionnant pour quiconque ne possédant pas un oeil averti. Ce fut juste rapide et d'une grande précision. Dans l'esprit du jeune Mer, tout avait toujours été limpide depuis le début de ce combat. Il avait décidé de se servir de la plus infime quantité de magie possible, de se pousser dans ses retranchements pour le simple plaisir de se mettre à l'épreuve. De se prouver qu'il était bien le mage le plus talentueux de cet archipel et d'au delà des mers. Il savait exactement où et comment il fallait frapper. Il n'avait pas choisi cet instant au hasard. Il avait mesuré chaque risque, chaque éventualité. Il savait précisément que mettre son corps à rude épreuve, sous les effets de l'adrénaline, de la tension ne faisait qu'augmenter sa perception de la magie et la puissance qu'il pouvait déployer.


Oui, chaque coup de cette partie avait été pensé et réfléchi en amont et l’avait mené à cette conclusion : il allait gagner. Aucun sourire, aucune expression de victoire ne venait illuminer son visage, cependant. Il avait cessé de respirer, sa mâchoire était serrée comme dans un étau et une marque venait froncer l'écart entre ses sourcils. Rien d'autre ne semblait indiquer l'état d'esprit dans lequel il se trouvait à ce moment précis. Intérieurement, sa concentration était à son paroxysme, son esprit bouillonnait et se laissait porter par son instinct.

Imperceptiblement, ses doigts battirent l'air comme s'il tissait un fil invisible et délicat et, lorsqu'il éleva sa main droite au-dessus de sa tête, le sort s'abattit, en silence. Un très court instant, une lueur apparut et l'homme tomba subitement à terre, secoué de spasmes. La foule qui s'était rassemblée autour d'eux contemplait la scène sans que quiconque  laissa échapper le moindre son. Réalisant le danger potentiel que le jeune Mer pouvait représenter, la plupart des personnes reculèrent de plusieurs pas pour former un périmètre de sécurité autour de lui. Rien ne brisait le silence hormis le raclement des ongles sur le bois du parquet de l'homme qui se tordait de douleur sous les soubresauts provoqués par le sort tandis que sa vessie le lâchait, emplissant l'air d'une odeur âcre.


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L'Altmer rejeta du pied la dague de l'homme tombée au sol, avant de s'accroupir près de lui, détaillant chaque trait de son visage avec fascination, comme un enfant observerait une fourmi se débattre sous une lourde charge. Ses yeux naviguaient le long des rides et des froissements provoqués par la douleur. Il plongea ensuite son regard dans le sien, guettant la vie qui s'éteignait peu à peu. Dans un élan de désespoir, le regard de l'homme se raccrocha à ces grandes pupilles vertes qui l'analysaient avec intensité. Ses lèvres s'entrouvrirent pour laisser échapper un râle étouffé et le jeune Elfe fronça les sourcils, intrigué. L'homme semblait véritablement terrorisé à l'idée de mourir et - l'espace d'un instant - l'Altmer partagea sa frayeur. Le dégoût s'empara de lui dans un haut le coeur qu'il tenta de réprimer : s'imaginer mourir le remplissait d'effroi.



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Il savait très exactement jusqu'où il devait aller avant que n'intervienne le moment fatal et il stoppa net son sort quelques secondes avant que la foudre qui parcourait le corps de l'homme ne vienne à bout de ses fonctions vitales. Ses membres tendus de douleur s'affalèrent soudain sur le sol, tel un pantin inanimé. Stupéfait, le Mer ne pouvait détacher son regard du Rougegarde. Quelques minutes auparavant cette personne était pleine de vie, en pleine possession de ses capacités, il parlait et se pavanait, il avait un avenir et des projets. Et en cet instant, il semblait suspendu au fil de son existence, incapable de faire quoi que soit. L'homme tentait d'émettre des sons, de signifier qu'il était en vie et plus il se débattait pour survivre, plus le jeune Mer se sentait comme happé par la vision de ce combat intérieur. La mort et son implacabilité le fascinait autant qu'elle le terrifiait.


— La Poursuite Divine ! Elle arrive !


C'est alors que le monde qui semblait s'être arrêté parut reprendre vie. Aesril en avait presque oublié qu'il se trouvait des gens autour de lui, tant le silence qui s'était fait dans l'assemblée était assourdissant. Soudain, les gens se bousculaient en tous sens et s'éparpillaient, effrayés à l'idée de ce qui les attendait s'ils restaient là. Mais Aesril ne bougea pas. Il demeura devant le Rougegarde, observant les imperceptibles mouvements de sa poitrine. Il se releva, toujours sans détacher son regard de l'homme qui peinait à reprendre ses esprits.


— On dirait bien qu'on va avoir des ennuis, toi et moi... dit-il avec un détachement qui ne trahissait pas l'angoisse qu'il ressentait réellement en songeant à ce qui allait suivre.


Il se dirigea vers la table pour se servir un autre verre, les bras et les jambes tremblants. Quitte à affronter le reste de cette soirée, autant avoir l'esprit embrumé. Ce n'était plus le moment de faire des plans, de toute façon. Il remarqua que la peur s'était emparée de lui lorsqu'il vit son bras frémissant comme une feuille sous la charge du pichet de bière et il remarqua alors la boule qui lui nouait le ventre et la gorge à l'idée de revoir son père. Il se donna de l'assurance comme il pouvait se disant que cela ne pouvait pas être pire que les autres fois. Mais il savait qu'une fois de plus, il avait dépassé les bornes, car il l'avait fait sciemment. Pas dans le but de s'attirer les foudres du grand Commandant Menduil, mais par simple curiosité de surpasser ses limites, d'aller au-delà des interdits, de mettre sa magie à l'épreuve. Et aussi pour lui prouver qu'il se fichait éperdument de son avis et des répercussions. Mais cela, c'était faux, bien entendu, car il redoutait la suite des événements. Il chassa ses ruminations et avala d'une traite la bière dans sa large chope. Il attendit que l'ivresse le gagne, mais elle ne vint pas. Il contempla la chope vide un moment, perplexe.


— Désespérant, lâcha-t-il avec lassitude.
— Ne faites plus un geste, citoyen ou ne serons contraints de...


Le patrouilleur de la Poursuite Divine demeura coi un moment, détaillant le Mer qu'il avait en face de lui tandis que le reste de la troupe arrivait dans son dos.


—  ... Aesril ? Mais que faites-vous là ? Vous n'êtes pas à la réception donnée par le Commandant ?


"De toute évidence, sombre idiot." songea-t-il avec cynisme, face à l'absurdité de la question, avant de dire tout simplement, incapable d'inventer une réponse plus courtoise  :
— Non…


Un autre soldat se précipita à l'intérieur en entendant la discussion.
— Le fils du Commandant est ici ? Tout va bien ? questionna-t-il à son adresse. Vous ne devriez pas rester dans les parages, vous savez, on nous a rapporté une violente échauffourée entre un pirate et un mage.


— Je sais, répondit-il en regardant ailleurs, sans même chercher à dissimuler la vérité. J'étais là. C'est moi, le mage.


Les Mers en armure le dévisagèrent, stupéfaits et c'est alors que l'un d'eux remarqua la marque qu'il portait à la joue ainsi que l'homme entendu sur le sol, secoué par intermittence de quelques spasmes.


— Cet homme, vous a agressé, Monsieur ? Est-ce lui qui vous a fait cela ?


— Oui. À vrai dire, je l'ai quelque peu provoqué...


— Saleté de Nebarra, cracha l'un des soldats. C'est vous qui l'avez neutralisé ?


— Oui.


Aesril jeta un regard affligé à l'homme en face de lui. Il méprisait cette haine gratuite des étrangers. Il ne pouvait pas dire qu'il avait de la sympathie, de la compassion ou même de l'empathie pour le fameux Kafiir, qui avait bien failli le mettre en pièces quelques minutes plus tôt, mais il ne le détestait pas pour autant et il ressentait encore moins d'animosité à son égard pour le simple prétexte qu'il était un étranger ou - comme la plupart de ses congénères aimaient l'appeler - un Nebarra ou un ephem, quelqu'un qui n'était pas Haut-Elfe. À vrai dire, cet homme et sa vie lui étaient indifférents. Il n'avait été qu'un divertissement, un moyen d'explorer ses compétences. Mais il ne tolérait pas pour autant l'attitude du soldat et il aurait été ravi de le remettre à sa place à grands renfort d'arguments cinglants et imparables. Cependant, conscient de la situation délicate dans laquelle il se trouvait, il n'en fit rien.


Les soldats jetèrent un coup d'oeil à l'homme étendu par terre et l'un d'eux revint vers Aesril, enthousiaste :


— Impressionnant ! Ces idiots de Rougegardes croient toujours que leurs connaissances du maniement des armes peut supplanter la magie. Encore un qui retiendra la leçon.


— Oui, vous êtes le héros de cette soirée, Aesril ! Lorsque vous aurez rejoint nos rangs, nous serons invincibles !


Un "héros" ? Encore une fois, il songea qu'ils avaient faux sur toute la ligne. Qui plus est, il se doutait que dès lors qu'il aurait rejoint les troupes de la Poursuite Divine, cette franche camaraderie disparaîtrait rapidement pour laisser place à une concurrence rude et les coups dans le dos seraient nombreux. On n'allait tout de même pas faciliter la tâche au fils du Commandant. Et encore moins chanter ses louanges. Au Couchant, à moins d'être puissant, nul ne faisait semblant de se réjouir de votre réussite.



— Je ne l'ai pas fait par bravoure... commença-t-il avant de s'interrompre, réalisant qu'il allait s'attirer des ennuis à être trop honnête.


— Les raisons importent peu, le principal est que la menace soit neutralisée.


"Les raisons importent peu..." se répéta Aesril. "Aux yeux des gens, seul le résultat compte." Cette réalisation lui était douloureuse, mais il était déterminé à ne pas oublier cette vérité simple qui venait d'être évoquée devant lui.


— Merci pour votre aide. Nous pouvons vous escorter chez vous, si vous le désirez, proposa le chef de la troupe, ravi à l'idée de faire bonne impression auprès du Commandant.


— Ça ira, je vous remercie. Je vais rentrer par mes propres moyens, je serai plus rapide. Je ne voudrais pas faire attendre mon père, qui plus est... Sauf si vous avez besoin d'aide avec cet homme ?


— Ne vous en faites pas, nous avons la situation bien en main dit le Mer en adressant un sourire plein d'assurance à Aesril. Cet Ephem croupira dans les geôles en attendant d'être renvoyé dans le premier bateau de prisonniers à destination de Lenclume. On est pas prêts de le revoir !


Il s'approcha d'Aesril pour poser une main bienveillante sur son épaule. Celui-ci ne put s'empêcher de regarder tour à tour la main plus le visage aimable du Mer. Ce genre de contact familier n'était pas chose courante.


— À l'avenir, vous devriez éviter ce genre de quartiers à une heure aussi tardive. Les rues sont sûres, mais on ne sait jamais. Souhaitez-vous que l'on vous envoie un guérisseur pour votre blessure ?

— … Ma quoi ?



Il se remémora soudain son entaille à la joue et sentit son épiderme le brûler douloureusement, mais cela lui était plutôt égal. À vrai dire, il aimait bien l'idée de garder un souvenir de ce combat.


— Ah… Non, merci, ça ira.


Il jeta un dernier regard furtif au pirate Rougegarde avant de saluer respectueusement les agents de la Poursuite Divine et de remonter les rues pavées de marbre, en direction de la ville-haute. Il était à mi-chemin lorsqu'il aperçut l'un des gardes rattachés à sa demeure accourir vers lui, l'air affolé.


— Auri-El soit loué, vous êtes là ! Nous désespérions de vous trouver. Votre Père vous fait mander, il vous attend immédiatement dans la grande salle de réception.


— Je sais, lâcha Aesril, morose. Je m'y rendais.


Il savait pertinemment ce qui l'attendait en regagnant la réception : les discussions assommantes, les jeunes femmes sans cervelle qui piaillaient à tue-tête, les vieux elfes obséquieux répétant le même discours, la même musique ennuyeuse qu'il avait entendue une infinité de fois. En ce moment, il n'aspirait qu'à regagner sa chambre pour écrire et pour dessiner au calme. "Ou une petite baignade nocturne... ça non plus, ce ne serait pas désagréable." Mais il chassa rapidement ces pensées. Tous ces fabuleux projets devraient être remis à plus tard quoi qu'il arrive, il était inutile de se torturer l'esprit en regrets.



❈ ✥ ❈



Il arriva dans le hall d'entrée, accompagné de son escorte qui se précipita sans plus tarder pour prévenir le Commandant du retour de son fils. Aesril avait immédiatement gagné les escaliers menant aux étages supérieurs pour sans demander son reste, conscient qu'il confronterait son père bien assez tôt.


Arrivé dans sa chambre, il alluma une chandelle et jeta un coup d'oeil à son reflet dans le miroir. Il savait que si son père ou qui que ce soit d'autre le voyait dans un tel accoutrement, on lui dirait quelle allure déplorable il avait. Mais, se voyant ainsi, il aurait aimé garder cette image de lui-même. Avec sa chemise de coton froissée, ses bottes dont le cuir avait été râpé, ses cheveux désordonnés qui encadraient fougueusement son visage et sa blessure rougeoyante sur la joue, il avait le sentiment d'être un aventurier revenant d'expédition et il trouvait cette sensation grisante. Il pouvait encore voir l'éclat de l'adrénaline dans son regard. Il se sentait vivant, pour une fois.


Malgré tout, il savait qu'il ne pouvait pas rester dans cet état. Il se débarbouilla, ôta ses vêtements pour passer une chemise de lin blanc, un pourpoint brodé et des braies raffinées, ramena ses cheveux en arrière, leur redonnant tout leur brillant d'un rapide coup de peigne. Il ceint à une mèche de cheveux un petit anneau d'argent ouvragé, détail ayant pour seul but d'être esthétique, lorsqu'on frappa à la porte. L'identité de la personne ne faisait nul doute. Aesril jeta un dernier coup d'oeil dans le miroir avant de se souvenir de son entaille sur la joue. Il ne désirait pas qu'elle disparaisse, mais il ne pouvait pas laisser l'impression qu'il venait d'avoir pris ce coup.

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Il se concentra, se souvenant du sortilège de guérison qu'il avait répété maintes et maintes fois. Passant sa main au dessus de sa joue, il ferma les yeux pour mieux ressentir et déployer sa magie. L'énergie qu'il concentrait sur sa peau lui renvoyait une projection de sa chair à vif. "Il s'agit juste d'accélérer le processus de guérison, pas de soigner complètement la plaie..." Il avait déjà vu sa mère le faire longtemps avant, mais il ne pouvait pas aller lui demander de lui expliquer comment elle avait fait dans un moment aussi crucial. Face au miroir, il récita les paroles et dirigea sa magie. Les chairs se réparaient peu à peu, dans une sensation de picotements agréables, mais encore trop vite. Il envoyait trop de magie. "Du calme, Aesril, tu peux te maîtriser." se dit-il, comme pour mieux se convaincre.


— Aesril ? J'espère que tu as une bonne raison de me faire patienter !


De l'autre côté de la porte, son père semblait fulminer.


Il jeta un dernier coup d'oeil au miroir. Le résultat était parfait. Une cicatrice bien nette marquait désormais sa joue droite.


— Je viens, Père, pardonnez-moi.


Toutefois, le Commandant ne lui laissa pas le loisir de lui ouvrir et, ayant certainement fini par trouver un double de la clef, il s'introduisit dans la chambre sans plus de formalités.


— Par l'Oblivion, Aesril, peux-tu me dire où tu étais durant tout ce temps et pour quelles raisons tu me ridiculises devant nos invités ?!


— J’étais... dehors.


— Dehors ? Alors qu'il passe tout son temps cloîtré dans sa chambre, le jour où j'ai besoin de sa présence, mon fils m'annonce qu'il est dehors. Te moquerais-tu de moi ?


— Non, Père.


— Espèce de petit insolent. C'est tout ce que tu trouves à dire ?


Aesril garda le silence, relevant vers lui des yeux emplis de défi. "Tu sais que c'est toi qui ne trouves plus rien d'autre à dire, Père. Ton petit jeu ne m'impressionne plus."
Le Commandant Menduil parut déchiffrer son expression et se redressa en arrière, furieux.


— Bien. Quoiqu'il en soit, nous reprendrons cette discussion après la réception. Au moins, tu es tout à fait présentable, ce qui...


Son regard s'attarda sur le visage de son fils.


— ... Qu'as-tu donc sur la joue ?


Le Commandant s'approcha pour mieux discerner les formes. Il passa le pouce sur la marque, comme pour mieux s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une trace de négligence. Lorsque son doigt rencontra le relief de la cicatrice, il écarquilla les yeux de surprise.


— Mais... quand t'es-tu blessé ? Et qui t'as soigné ? Il a fait un travail déplorable. Par l'Oblivion mais où...


— Commandant ? Pardonnez-moi de vous interrompre, mais Dame Loralia m'envoie vous dire que les invités vous attendent.


Le Commandant se tourna prestement vers le domestique qui attendait sur le pas de la porte.


— Bien sûr. Informez-la que notre fils et moi-même serons là dans un court instant.


Il se tourna à nouveau vers Aesril.


— Ne faisons pas attendre nos invités plus longtemps. Ton absence ne s'est que trop fait remarquer. Mais ne penses pas que tu es tiré d'affaire pour autant. Nous reprendrons cette discussion tout à l'heure. Tu n'iras pas te coucher tant que je n'aurai pas le fin mot de cette histoire.


❈ ✥ ❈


Il gagnèrent ainsi la grande salle de réception. Tous les regards se tournèrent vers eux tandis qu'ils se frayaient un chemin parmi les convives. Aesril aurait préféré se trouver au fond d'une grotte à ce moment même. Malgré tout, il passa son masque d'impassibilité et, dans une posture digne, sur la demande de son père, partit présenter ses respects aux anciens Altmers.



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— Aesril, quel plaisir de vous voir ce soir. Ma foi, vous avez fière allure. Faisiez-vous attendre les jeunes personnes pour rajouter de la superbe à votre entrée ? Car vous n'aviez pas besoin de cela.


— Je vous remercie Sapiarque Larnatillë. Mais j'ai bien peur que ce ne soit ma propre négligence quant à honorer les rendez-vous qui soient à l'origine de mon retard


La Sapiarque se rapprocha quelque peu du jeune Mer, un sourire sibyllin étirant ses lèvres.


— N’ayez pas d'inquiétudes, votre père nous a expliqué à quel point votre pratique intensive de la magie vous prenait beaucoup de temps. Permettez-moi de vous dire que c'est tout à votre honneur. J'entends de nombreux échos témoignant de votre talent. Vous êtes un peu jeune, mais les Sapiarques ont toujours besoin d'esprits novateurs et ambitieux tel que le vôtre. Si vous ne vous destiniez pas à la Poursuite Divine, je vous aurais volontiers proposé de soumettre votre nom pour le choix des futurs apprentis.


Aesril déglutit. C'était sa chance. Celle qu'il avait tant espérée pour échapper au destin tout tracé que lui réservait son père. Un premier pas pour sortir du cadre.


— Oui... La Poursuite Divine est une noble et honorable voie. Mais si mon Père n'était pas convaincu que mon destin est auprès des émérites combattants du Roi, mon souhait le plus cher aurait été de rejoindre cette prestigieuse institution qu'est Collège des Sapiarques.


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Le sourire de la Sapiarque s'étira un peu plus.


— Oh, mais si tel est votre souhait, je pourrais en toucher quelques mots au Commandant. N'ayez d'inquiétudes, j'userai des bons arguments. J'imagine facilement que la Poursuite a besoin de valeureux combattants, mais le Collège ne saurait certainement pas se passer d'un esprit aussi brillant que le vôtre.


— Ce serait très aimable de votre part, dit Aesril avec considération, d’un hochement de tête reconnaissant.


— Nous reparlerons de tout ceci plus tard, j’ai l’impression que vous êtes très attendu… lança-t-elle doucement en désignant d’un geste fugace du menton un groupe de jeunes demoiselles qui gloussaient et murmuraient en lui lançant des regards furtifs. Aesril trépigna, mal à l'aise. La discussion lui avait fait oublier les raisons de sa présence. Il était ici pour faire son devoir, montrer bonne figure. Il appréhendait de se retrouver face à une femme de son âge, sans trouver le moindre sujet de discussion intéressant. Bien sûr, échanger des mondanités était facile, mais si ennuyeux et si... faux. Oui, il aborrait ce monde d'apparences et de faux-semblants qu'était le Couchant. Ce n'était pas seulement la Maison des Rêveries qui portait un masque... mais tout le monde. Il se sentait nerveux et maladroit à l'idée de devoir tenir la discussion pendant plusieurs danses.

Mais la Sapiarque vint l'extraire de ses ruminations, posant une main caressante dans son dos.



— N’ayez pas peur, vous êtes plus charismatique que vous ne le pensez... susurra-t-elle à son oreille.

Il se sentit rougir à ce contact. Se pouvait-il que... qu'elle cherche à le séduire ? Une sensation étrange naquit en lui, mélange d'excitation et de malaise. Il avait la désagréable impression qu'elle cherchait à manipuler ses émotions. Malgré tout, cela lui conféra assez de courage pour traverser la pièce et inviter une jeune femme à danser.



— Quel est votre nom, ma dame ? s'enquit-il poliment.


— Calanwë, répondit l'intéressée en rougissant sous le regard de son partenaire. Vous êtes...


— Aesril. Enchanté.


— Pareillement, gloussa la jeune femme. À vrai dire, je savais déjà comment vous vous appeliez, personne n'ignore que vous êtes le fils du Commandant.


Aesril de retint de soupirer et se contenta de garder le silence. Il en avait assez d'être connu uniquement comme "le fils du Commandant". La dénommée Calanwë parut incommodée de ce silence et tenta d'engager à nouveau la conversation, se creusant les méninges pour trouver un nouveau sujet.


— C’est... une cicatrice sur votre visage ? C'est impressionnant, on dirait un guerrier ! Comment vous êtes-vous fait cela ?

Il réfléchit un moment. Serait-il convenable de dire la vérité ? N'aurait-il pas des ennuis ce faisant ? Il trancha. Avec le plus grand sérieux, il dit :



— Un pirate Rougegarde impulsif et sanguinaire m'a lancé une dague dans une taverne clandestine. J'y ai échappé de peu.

La jeune femme le toisa, cherchant à deviner s'il se moquait d'elle ou non. Elle finit par éclater d'un rire cristallin, relevant la tête en arrière.



— Hahaha ! Oh j'ai bien failli vous croire, vous êtes si sérieux !
Il lui adressa un sourire embarrassé.


— En tout cas, cela fait son petit effet ! Avec les autres dames, nous avons passé la soirée à nous demander d'où cela pouvait venir.


— Et n'avez-vous rien d'autre de plus intéressant à faire ? lança-t-il, méprisant.


— Je vous demande pardon ? s'étonna la jeune Calanwë, désorientée.


— Au lieu de commérer sur un invité et sur sa vie, n'avez-vous pas trouvé de sujet de discussion plus spirituel ?


— Je vous trouve fort impoli de me parler ainsi ! Que voulez-vous que l'on fasse à une réception dansante, à part se restaurer, danser et échanger sur les invités ?


— Je ne sais pas... Je ne suis pas certain d'apprécier ce genre de soirées, concéda-t-il de mauvaise grâce.

Elle ouvrit des yeux ronds.



— Ah oui ? C'est pourtant si réjouissant de voir tout ce monde et d'entendre toutes ces musiques... Enfin, euh... c'est vrai que maintenant que vous le dites, c'est un peu barbant.


Elle termina sa phrase, baissant les yeux au sol. Elle avait tant eu envie de lui faire bonne impression qu'elle en avait changé son discours en cours de route. Cela n'échappa pas à Aesril qui se demanda ce qu'il lui prenait. Lui-même justifiait intérieurement son manque de savoir-vivre en se disant qu'il n'avait vraiment pas envie de se trouver là.


— Et qu'auriez-vous fait pour vous distraire si vous n'aviez pas à vous trouver là ? reprit la jeune femme, pleine d'espoir et d'enthousiasme.Vous avez des loisirs ?


— Je lis. Et je dessine. J'aime pratiquer l'alchimie sur mon temps libre. Cela me donne une bonne excuse pour marcher dans la nature et chercher des plantes.


— Vous dessinez ! Vous êtes donc un artiste !

— Je ne dirais pas cela comme ça, non... Et puis, gardez-vous de dire une telle chose à mon père. Avoir un artiste en tant que fils serait la chute de notre famille à ses yeux.


Elle eut un petit rire nerveux.


— Cela peut se comprendre ! Avec le prestige de votre famille, nul n'aurait envie de redescendre les échelons dans une carrière aussi hasardeuse !


"Et c'est reparti..." songea Aesril avec amertume.


— Oui... Je suppose.

Fragments - Partie IV F3a94e10

Il échangea alors plusieurs danses avec la jeune Calanwë puis avec d'autres ravissantes jeunes filles, effectuant le minimum d'efforts syndical pour maintenir la conversation. Enchantées de partager un moment avec lui, elles ne semblaient pas lui tenir rigueur de son caractère taciturne qui se renforçait un peu plus à mesure que la soirée s'écoulait. Bientôt, les danses se firent plus rares et les convives se rassemblèrent au fur et à mesure dans le grand hall, présentant leurs respects et leurs remerciements au Commandant et à sa famille avant de regagner le confort de leur foyer.

Aesril se serait alors volontiers éclipsé dans sa chambre, mais il se doutait bien que son père n'en avait pas terminé avec lui. Alors, de lui-même, il s'assit sur un banc, dans le grand hall et attendit sa convocation, anxieux. Lorsque le Commandant Menduil arriva à sa hauteur, il releva vers lui des yeux interrogateurs.



— Je vois que tu as au moins eu la maturité de ne pas essayer de te défiler, cette fois-ci. Il semblerait que toutes ces leçons aient fini par porter leurs fruits, finalement. Avec ton intelligence, on pourrait se demander pourquoi tu es si long à comprendre ce genre de choses.

Retenant la colère qui montait en lui, Aesril se releva face à son père et choisit d'ignorer sa remarque. Il serra les poings, rageusement, avant de le suivre tandis qu'il se dirigeait vers son bureau. Dans le couloir, il aperçut sa mère qui lui lança un regard désolé tandis que que son père refermait la porte derrière eux.



— À présent j'exige des réponses : où étais-tu ce soir et comment t'es-tu fait cette cicatrice ?

Aesril regarda son père droit dans le yeux et répondit d'un ton monocorde :


— J’étais à la bibliothèque et je me suis coupé avec du papier.


— Pas de mensonges Aesril, à moins que tu ne souhaites nous faire perdre notre temps à tous les deux.


Le jeune elfe esquissa un imperceptible sourire en coin.


— J’étais à la plage et je suis tombé sur un coquillage.


Son père se releva subitement de son siège, prenant appui sur son bureau.


— Cela t'amuse ? Tu crois que c'est un jeu ? Tu crois que je ne vois pas que tu te joues de moi ? Que j'ignore que mon propre fils s'est rendu dans une taverne clandestine sur les quais pour se battre avec un scélérat d'étranger ?

— Si vous le saviez, pourquoi me posez-vous la question ?



— Pour te donner une chance d'être honnête avec moi. Et tu as lamentablement échoué.


— Vos mises à l’épreuve m'épuisent. Je ne veux plus y jouer. Pourquoi ne pas me punir directement si vous voulez vraiment nous épargner une perte de temps ?


— Petit insolent ! N'as-tu donc aucun respect ?


— Pourquoi ? Parce que vous commencez enfin à réaliser que ce que je dis a du sens ?


— Il suffit ! Que faisais-tu là-bas quoi qu'il en soit ?


— Je donnais un coup de main à nos agents de la Poursuite Divine.


— Tu crois que je vais avaler cet autre tissu de mensonges ?


— N’est-ce pourtant pas ce que vos officiers vous ont rapporté ? Vous me posez une question, j'y réponds.


— Un jour viendra où tu ne pourras plus te tirer de ce genre de situation par la ruse Aesril. Tu te crois peut-être intelligent parce que je n'ai pas assez de preuves pour t'incriminer et pour que je puisse te faire porter la responsabilité de tes agissements stupides que tu exerces certainement dans l'unique but d'outrepasser mon autorité. Mais un jour, tu feras une erreur. Rien qu'une. Et ce jour là, je serai là pour te rappeler quelle est ta place.

Le jeune Mer fronça les sourcils face à ce qu'il interprétait comme étant ouvertement des menaces à son encontre.



— Et... quelle est-elle Père ? demanda-t-il, hésitant.


— Si cela ne tenait qu'à moi, je t'aurais déjà renié. Seulement, tu n'as encore rien fait qui t'accable suffisamment pour que je puisse agir en toute légitimité.


Aesril leva vers son père des yeux ébahis. Il devait avoir mal entendu. Il ne pouvait pas décemment lui dire une chose pareille.


— … Quoi ? Mais... pourquoi ? Vous... vous feriez de moi un Hulkynd ?


— Pourquoi ? Parce que tu es un nid à problème depuis ton enfance. Tu passes ton temps à transgresser les règles dans mon dos ou à les suivre avec la plus grande mauvaise fois. Tu questionnes sans cesse le protocole. Tu rechignes à suivre la voie que l'on t'a attribuée. Sans parler de tes lectures plus que douteuses concernant des pratiques occultes à la limite du tolérable. Et après quoi, tu rejoindras un groupe de fanatiques et de nécromanciens ? Je sais reconnaître un sort sur le point d'exploser, Aesril. Et tu en es un. Un jour, tu mettras notre famille et notre réputation en péril, c'est une certitude. J'espère juste être là à temps pour contrecarrer ce moment fatidique. Car tu es mon seul fils et que je ne n'ai connu aucune recrue que je ne sois parvenu à mettre au pas. Et un jour viendra où toi aussi tu rejoindras le rang, comme tout le monde, sois-en assuré. Ou alors, je mettrai fin moi-même à cette malédiction et tu disparaîtras à tout jamais. Outrepasse les règles et tu ne seras plus rien.


Ces paroles vinrent le heurter de plein fouet, chaque mot claquant toujours avec un peu plus de force, un peu plus de violence. Il serra les poings, verrouilla la mâchoire, les lèvres pincées, les yeux dans le vide, acquiescant lentement à chaque douloureuse affirmation. Il ne pouvait plus regarder son père sans sentir qu'il allait faiblir. S'il croisait son regard, c'en était fini de la façade qu'il s'efforçait d'afficher. Mais il avait beau se concentrer, il sentait la douleur monter inexorablement. Il ne voulait surtout pas lui montrer le mal qu'il venait de lui faire. Si Père lui avait bien appris quelque chose, c'était de ne jamais afficher ses faiblesses.

Il ne parvenait tout simplement pas à y croire. Cela lui semblait impossible. Que son père veuille contrôler chaque aspect de sa vie, lui inflige mille punitions passe encore. Mais le rejeter ? Cela semblait surréaliste, dément. Il voulait se débarrasser de lui. Il était un problème. Une anomalie, au même titre que les autres Hulkynd. Et son père avait le pouvoir de le faire disparaître s'il le voulait. Ce n'était pas juste.


Lorsqu'il parvint à parler à nouveau, sa voix n'était plus qu'un mince filet étranglé.



— … Quoi ? Vous... Père, vous n'êtes pas sérieux... Vous ne feriez pas une chose pareille ? C'est la colère qui vous fait parler. Ce... ce que vous dites... n'est pas sensé.


— Je suis on ne peut plus sérieux, Aesril. M'as-tu déjà entendu prononcer des paroles en l'air, de vaines menaces ?

Les épaules du jeune Mer s'affaissèrent un peu plus, désemparé.



— Non…


— Désormais tu sais ce qu'il te reste à faire et tu connais les enjeux. Outrepasse les règles et je m'assurerai que tu n'oublies jamais le jour où tu as cru qu'il était possible de te jouer de moi.


— D’accord... parvint-il seulement à prononcer.


— Tu peux disposer à présent. J'en ai fini avec toi pour le moment. Inutile de m'accabler d'une autre couche de balivernes.


— Oui… Bien, lâcha-t-il, le regard dans le vide.


Il regagna sa chambre sans vraiment savoir comment il était parvenu jusque-là. Il se sentait comme dépourvu d'émotions. Il referma la porte derrière lui et s'y adossa faisant face au miroir qui se trouvait sur le mur adjacent. Il contempla son reflet déformé par la distance, analysant les yeux verts qui le dévisageaient d'un air rageur.


— Une difformité... dit-il à voix haute. Je suis une erreur. Un problème. Une anomalie.

Il avait beau regarder le miroir, il ne voyait que la laideur. Son visage se tordit alors sous la douleur de l'émotion qui montait soudain en lui. D'un sort, il envoya le miroir se fracasser au sol. Il ne voulait pas voir cela. Pas admettre qu'il était en train de pleurer. Que cela lui faisait autant de mal.



Il s'allongea sur le lit, incapable de trouver une meilleure occupation et il laissa son regard se perdre dans ce décor qui composait cet univers qu'il s'était construit, les livres, les croquis, les parchemins chargés de formules, les gemmes colorées... Tout ceci pouvait être balayé d'un claquement de doigts.


Fragments - Partie IV 2f2b1610
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