Le jeu du chat et de la souris

Rappel du premier message :

On ne sait s'ils s'apprécient, on ne sait s'ils se comprennent, mais leurs échanges sont toujours... piquants, surprenants, audacieux, mystérieux, authentiques ?

Ici se développe les interactions complexes qui poussent Phèbe et Valriel toujours un peu plus dans leurs retranchements...

Phèbe eu une sorte de sourire carnassier et satisfait.

- A-ah vous admettez donc que ses bandages ne sont qu'une mascarade!

Elle n'avait pas l'intention de reculer et resta dans cette inconfortable proximité. Sa présence pouvait rivaliser avec celle de l'elfe, la mettre en concurrence, grignoter son espace vital. Elle n'était pas de celle sur qui on marche!

- Alors dites moi plutôt: vous savez que si vous me donniez les éléments je pourrais comprendre, alors quoi? Cela vous fait peur? C'est pour cela que vous fanfaronner que personne ne peut comprendre votre pauvre petit cœur brisé et vos complexes d'enfant? Ah ca vous énerve que je dise ça? Si ce n'est pas le cas et que je me trompe... Il ne devrait pas être compliqué de me le prouver en me montrant ce qu'ils cachent ses bandages!

Son ton était à presque taquin, presque, mais il résonnait avec....hardiesse. Elle se rendit compte trop tard qu'elle était si provocatrice. Pourtant captiver par les yeux du Mer elle reste sur ses positions.

- ... Je n'ai jamais dit que ces bandages étaient une mascarade.

Il releva la tête en arrière, incommodé par cette proximité soudaine. Il n'aimait pas cette façon tactile qu'elle avait de se rapprocher de lui. Il tempéra la sensation de chaleur qui fourmillait dans son ventre pour mieux se focaliser sur ses pensées. Depuis qu'elle lui avait laissé cette lettre, il s'était imaginé ce scénario. Il repassa en mémoire l'arborescence des possibles. La situation était délicate, mais pas hors de contrôle. Mais il traitait avec un facteur qu'il n'appréciait pas du fait de son inconstance : les émotions des autres. Il était temps de faire un choix.

D'un ton qu'il voulut aussi pondéré que possible, il baissa la tête vers elle pour plonger à nouveau son regard pénétrant dans le sien et il dit :

- Peur ? Je n'ai pas peur, non. Vous voulez la vérité, seulement, vous n'en connaissez pas le prix. S'il vous plaît, ne cherchez pas à susciter l'énervement chez moi en me parlant de mon prétendu "cœur brisé", ça ne marche pas. Mais vous avez raison. Vous êtes intelligente, vous êtes courageuse. Je ne devrais pas vous surprotéger en imaginant que vous ne serez pas capable de comprendre la situation. Vous voulez savoir ? Vous voulez voir ? Allez-y. Retirez-mes bandages. Laissez-moi vous montrer ce que je suis. Et voyez. Voyez que le monde n'est ni tout noir, ni tout blanc. Mais réfléchissez bien. Il n'y a pas de retour en arrière possible. Faites-le ou laissez-moi.

Phèbe avait bien sûre déjà imaginer cette situation. Mais elle avait toujours pensé que Valriel ôterait ses propres bandages, elle pensait que c'est ainsi que devait aller les choses. Par respect, ou part pudeur, elle n'aurait pas imaginer une seconde lui enlever. A cette instant si elle avait été en pleine possession de ses moyens, elle aurait probablement reculer pour le convaincre que ce geste devais venir de lui. Elle aurait longuement hésiter si c'était vraiment ce qu'elle voulait et si cela en valait la peine. Elle aurait pris le temps de faire cela bien, avec tact, parcimonie. Elle aurait chercher à lire entre les lignes, à savoir ce n'était qu'une manœuvre ou alors son véritable désir.

- Le monde n'est pas un mélange de noir et de blanc.

Oui dans ses bons jours, elle aurait fait le maximum pour gagner sa confiance. Mais Phèbe était fatigué, elle n'avait pas mangé depuis hier matin, elle se sentait nauséeuse et les effluves de magie qui quelques secondes auparavant l'enivraient lui avaient fichus un mal de crâne à assommer un troll. Alors elle ne prit pas de pincettes. Elle ne chercha pas à le comprendre ou l'épargner. Qu'il ailles au diable! Il ne voulait pas de pitié, très bien. Elle attrapa un pan de tissu.

- C'est une infinité de couleur.

Phèbe au fond d'elle n'avait jamais perdu ses instinct de mère, à tord ou a raison. Lorsqu'elle passa le main sur la tête de Valriel pour défaire les bandages, elle ne su jamais avec quelle délicatesse elle le fit. Comme si elle craignait de le rendre vulnérable. Comme si elle déballait un trésor.

"Tu es un fichu parieur..." se sermonna-t-il tandis qu'elle retirait les nombreuses couches de tissu qui recouvraient son visage. Mais il n'en était plus aux choix mesurés, évidents et stables. Il en était aux prévisions les moins hasardeuses, même si celle-ci était risquée. Il inspira profondément l'air qui commençait à s'infiltrer entre les bandelettes. Il fléchit légèrement les genoux pour aider Phèbe dans son mouvement, constatant qu'elle devait se mettre sur la pointe des pieds.

Alors qu'elle était sur le point de dévoiler les dernières couches de tissu, il arrêta son geste, attrapant doucement sa main.

- Arrêtez. Un instant. Fermez les yeux, s'il vous plaît.

- Pourquoi ? Vous voulez m'embrasser ? - dit-elle, sarcastiquement

Mais elle obtempéra.

- Je ne me permettrais pas... Sauf si vous me le demandez, répondit-il sans se départir de son sérieux.

Attendant qu'elle ait terminé de retirer le dernier pan de bandage, il reprit sa main dans la sienne et la guida jusqu'à son visage pour lui en faire sentir les reliefs sous ses doigts. Retenant son souffle, il guetta son expression.

- La créature est dévoilée. Plus de secrets. Plus d'elfe qui manigance. Suis-je aussi terrifiant que vous vous l'étiez figuré ?

Ca l'aurait étonné aussi qu'il laisse faire. Comme il reposait ses mains sur sa peau elle laissa ses mains ridées parcourir la peau ferme de l'elfe, celle d'un homme d'une trentaine d'années. 

Le visage de Valriel ne semble pas présenter d'aspérités au toucher. Il avait des traits sculptés comme seul les elfes peuvent les avoir. Ses pommettes étaient hautes avec des arcades sourcilières assez prononcées, son nez semblait busqué, fin, aquilin, ses lèvres pleines. Il a un peu de barbe qui commence à repousser sur une mâchoire volontaire. Elle fut presque surprise de trouver une cicatrice sur son arcade qui glissait jusqu'à la naissance de sa joue.

- Je ne suis pas plus capable de reconnaître un monstre avec mes mains qu'avec mes yeux.

Elle se dit que si toucher son torse l'avait mis dans de tel état, elle serait curieuse de savoir ce que cela lui faisait de sentir un contact prolongé avec la caresse de ses doigts. Phèbe ouvrit les yeux et rencontra les iris vertes de l'Altmer. Elle le dévisagea crument. Il était beaucoup masculin qu'elle ne le pensait, bien plus virile. Il portait bien ce petit air hautain de son peuple et était définitivement partagé entre son air autoritaire et cette lueur gamine. Pouvait-elle lire ses pensées si elle le regardait assez intensément?

Il ferma les yeux à son tour quand les doigts de la pyromancienne effleurèrent ses paupières et passèrent le long de sa cicatrice, descendant sur ses joues, tâtonnant, glissant timidement sur ses lèvres. Il prit de profondes inspirations, sentant son cœur battre un peu plus vite. Il fut presque surpris en entendant sa voix.

- Je ne suis pas plus capable de reconnaître un monstre avec mes mains qu'avec mes yeux.

Les pupilles de l'elfe se dilatèrent tandis que Phèbe plongea ses yeux dans les siens. "Concentre-toi, ce n'est pas le moment d'avoir l'air nerveux." Mais comme à chaque fois qu'il exécutait une action incertaine, Valriel était fébrile. La main moite, il lâcha doucement, un doigt après l'autre, celle de la Brétonne. Le contact de ses doigts était doux et cela faisait une éternité qu'il n'avait connu de geste aussi intime que de laisser qui que ce soit l'approcher d'aussi près.

Il soutint son regard. Solennel.

"Nous ne sommes que deux créatures sauvages qui s'apprivoisent. Il ne faut juste pas être brusque."

Phèbe aurait voulue pouvoir lui dire qu'elle avait la certitude qu'il n'était pas un monstre mais c'était impossible. Dans ses yeux elle voyait son propre reflet et cela lui rappelait un passé de souffrance. Il était si semblable à ceux qui l'avait tenté de la détruire. Oh elle savait qu'aujourd'hui elle ne serait pas elle-même sans ces épreuves mais jamais elle ne pourrait regarder les traits de Valriel sans penser immédiatement : Danger.

Phèbe fronça les sourcils au bout d'un moment pour faire un pas en arrière et mieux le contempler. Quelque chose en lui était familier. Et prit le temps de bien regarder sa cicatrice, sa carnation, la forme des os... 

- Votre visage... je le connais... Je suis certaine que vous me rappelez quelqu'un.

Valriel bascula légèrement le buste en arrière en observant la réaction de recul de la Brétonne. "A-t-elle peur ? Par Auri-El, je ne pensais pas que passer tout ce temps sous ces bandages m'auraient rendu si terrifiant..."

En entendant sa phrase, il fronça les sourcils à son tour. "A quoi joue-t-elle ? On ne s'est jamais vus ailleurs qu'ici..."

- Vous me connaissez ? Cela m'étonnerait. Je n'ai pas souvenir de vous avoir jamais croisée avant de rejoindre les Compagnons.

Phèbe trouvait que Valriel en savait déjà beaucoup trop sur sa vie et décida que finalement si lui ne la reconnaissait pas, ce n'était pas plus mal. Ca ne l'aurais pas étonné qu'il fasse partie des nombreuses personnes avec qui elle avait eu affaire lorsqu'elle masquait son visage et se faisait appeler autrement. Mais elle aurait détesté qu'il s'en rende compte. Surtout si il avait fait partie de ses clients plus.... intimes. Elle regarda l'homme en face d'elle.  Oui bon il n'avait pas l'air d'être le genre à aller se taper des putain au coin des rues, mais le Language des Fleurs semblait tout à fait son genre.

Elle croisa les bras et ajouta distraitement:

- Vous avez raison, je dois confondre. Tout les elfes se ressemblent à mes yeux.

Venant de quelqu'un qui avait vécu parmis eux sa crédibilité était quand-même limité. Mais Valriel n'était pas sensé le savoir.

- Dites moi plutôt, vous prétendiez que voir votre visage changerais ma perception de vous du tout au tout... moi je vois toujours la même chose.

La remarque de Phèbe ne l'apaisa pas pour autant. Mais lui-même n'avait aucune idée de l'endroit où ils auraient pu se croiser... Il l'imaginait mal dans l'univers guindé dont il avait fait si longtemps partie. A moins que ce ne soit au cours d'un de ses nombreux voyage en Tamriel ? Il ne parvenait pas à se souvenir. Il répondit avec une pointe de déception :

- Alors je ressemble à tous les elfes selon vous ? Voilà qui est dommage, je croyais pourtant m'en démarquer quelque peu.

Une lueur espiègle passa subrepticement dans ses yeux avant de reprendre son habituelle attitude sérieuse.

- Vous dites que vous voyez toujours la même chose. Et que voyez-vous ?

Elle se retint de répondre: Un petit con prétentieux qui pense que joué le rôle de l'homme modèle fait oublié la nature profonde d'une créature brisée et frustrée incapable d'assouvir ses désirs ou de les assumer! 

Elle mourait d'envie de le dire. Mais il semblait si.... vulnérable. Elle n'eu (pour une fois) pas le cœur de l'agresser. Mentir n'était pas son intention, elle détourna le regard et se balança sur ses talents. Elle finis par prendre une grande inspiration:

- Je ne vous ai jamais caché ce que je pensais. 

Elle marqua une pause espérant qu'il intervienne.

- Valriel... Vous êtes une personne complexe. Cisaillé entre des principes - certes peu conventionnels - mais ancrés en vous et des sentiments puissants que vous cherchez à dompter ou museler. Ce que je vois en vous... c'est un combat auto-destructeur. Et si j'étais vous, je me serais fixé un objectif impossible pour me distraire de ce problème, pour en ignorer les conséquences, pour ne pas m'en préoccuper. Un but si prenant que... il me donnerais l'impression d'être la solution à tout les erreurs de mon existence.

Elle se tut, la gorge nouée. Quand elle était lui, elle aurait aimé que quelqu'un partage son fardeau.

Il ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, se ravisa. Il la dévisagea, ses pupilles naviguant rapidement sur son visage, comme s'il tentait de la déchiffrer, de l'analyser. Songeur, il baissa les yeux au sol, soulevant d'une main distraite les cheveux sur sa nuque, avant de ramener son regard vers elle. Ces mots le plongeaient dans un état indescriptible. Il ne s'était pas vraiment attendu à ce qu'elle réagisse ainsi. Il avait redouté l'incompréhension et une montagne de questions, pas qu'elle cherche véritablement à le comprendre.

Seulement, cette description ne lui plaisait pas. Elle attendait l'honnêteté et il comprit que c'était la seule chose qui faisait avancer la situation de façon positive, mais cette-fois-ci, les mots lui manquaient. Parler de ce qu'il ressentait n'était pas ce qu'il faisait le mieux. Il hésita parmi son florilège de réponses habituelles, spirituelles et fines qu'il utilisait pour mettre fin à toutes les conversations qui ne lui convenaient pas.

Mais rien ne vint. D'une voix moins assurée que d'ordinaire, il lâcha finalement :

- ... Que voulez-vous que je vous dise ?

Elle envisagea réellement la question: que pouvait-il lui dire? Et bien la réalité c'est qu'elle aurait été prête à entendre n'importe quoi pour peu que cela soit vrai et que cela lui importe. Mais elle ne pouvait pas demander cela. Elle devait faire preuve de finesse, ne pas en demander trop. Elle semblait déjà avoir aujourd'hui obtenue plus qu'escompté, elle voulait y aller à petit pas. 

- Et bien... si nous commencions simplement? 

Elle hésita à demander à propos de ce qu'il avait dit dans le couloir alors qu'il était alcoolisé... Mais cela il ne voudrait probablement pas l'aborder. Lui demander sur la magie? Il allait essayer de l'embrouiller... Son passé? Inutile d'y penser! Penses plus petit, plus humble Phèbe! Elle lui jeta un regard en coin... Bon peut-être que ça valait le coup d'essayer.

- Pourquoi vous ne commenceriez pas par me dire comment vous avez obtenu cette cicatrice?

Il la regarda un instant, dubitatif. Il esquissa finalement un léger sourire en coin.

- Pour être tout à fait honnête, je m'étais attendu à ce que vous me forciez à une véritable "mise à nu", si je puis dire. Bien. Ma cicatrice…

Songeur, il caressa l'entaille au dessus de son sourcil du bout du majeur.

- Vous savez, je pourrais très bien être dépourvu de ces marques, m'en débarrasser, mais j'aime me souvenir. Chaque marque sur mon corps est une histoire. La version courte, c'est que des partisans Alessiens m'ont pris à parti lors d'une échauffourée en Glénumbrie. Ils m'ont immobilisé et m'ont plaqué une dague contre le visage. Ils me crachaient dessus et continuaient de répéter "Alors, tu n'as plus un aussi joli visage, salopard d'esclavagiste ? Ta magie ne te sauvera pas." Mais une fois de plus, elle m'a sauvé. Je garde cette cicatrice pour me souvenir que rien de ce qu'ils feront ne pourra me détruire.

Il s'était perdu dans un lointain souvenir et avait parlé avec verve. Il parut soudain se remémorer la présence de Phèbe. Il n'avait jamais raconté cette histoire à quiconque…

Phèbe se retint de faire la moue. Elle ne savait rien des conflits présent alors ceux passé! Surtout dans les terres du Nord de Tamriel. Elle hésita. Etait-il plus prudent de lui demander une autre question sur un autre sujet, ou de creuser celui-ci pour le mettre en confiance? Elle ne doutait pas un instant qu'étaler ses connaissance le mettrait à l'aise... Mais pour peu que cela soit lié à des souvenirs douloureux, il se refermerait comme un huître. 

Elle caressa ses propres poignets distraitement. Se débarrasserait-elle de ses propres cicatrices si elle le pouvait? Par le passé, elle aurait répondu oui sans hésité. Aujourd'hui? Elle soupira.

- C'était il y a longtemps?

- Huit ans. Depuis, les partisans anti-elfes se sont quelque peu calmés, mais l'animosité n'est jamais bien loin.

Valriel bascula son regard sur le côté. Relater des faits et parler du passé l'ennuyait, à moins qu'il ne s'agisse d'Histoire ou de sujets qui le passionnaient... Même si c'était plus simple que de trouver des pirouettes face à une question embarrassante. 

Son regard fut attiré par les mouvements de la Brétonne sur ses poignets. Il remarqua des marques sur ceux-ci. Il se souvint alors des cicatrices qu'il avait aperçues sur son dos, lors de leur voyage. Quelle vie elle devait avoir vécu... Chaque fois qu'il s'imaginait lui-même contraint, restreint, emprisonné, Valriel était en proie au malaise. Alors une vie d'esclavagisme... À quoi pouvait-elle penser en ce moment ? L'occasion était trop belle, il ne put s'empêcher de lui-même l'interroger.

- Vous aussi, on a essayé de vous enchaîner et de vous asservir, n'est-ce pas ? De vous maîtriser et de vous forcer. Vous avez certainement dû faire face à bien des dangers pour en arriver où vous en êtes. Faire des choses contraires à vos valeurs. Peut-être avez-vous été obligée de tuer. Regrettez-vous d'avoir fait ces choses pour vous en sortir ? Ou était-ce le moindre mal ? Et surtout : qu'est-ce qui fait tenir une femme telle que vous, qu'est-ce qui vous a donné la force de continuer ?

La surprise de Phèbe était tel que ses dernières forces étaient à deux doigts de défaillir. Habituellement Valriel ne s'intéressait pas à elle et ne lui posait que peu de questions. Son cœur galopait prit par les questions. C'était tout ce qu'elle haïssait de sa vie, mais rien dont elle est honte. Elle secoua les épaules et répondit:

- Je crois que vous ne comprenez pas. Personne n'a essayé de m'asservir....

Cela lui en coûte de continuer, elle regarde les nuages et le ciel mais continue d'une voix posée:

- Personne n'a essayé de m'asservir car je suis né les fers au pied. Je ne suis qu'une bête d'élevage qui à soudainement bondit par dessus la clôture. Un vulgaire animal domestique qui s'est perdu dans un vaste monde pour échapper à l'abattoir. Je n'ai jamais été obligé de tuer, je l'ai fais car c'était le choix qui me permettait de survivre plus longtemps. Personne ne s'est donné la peine de m'inculquer des valeurs, de désigner le bien du mal.... c'est pour cela que j'ai commis des erreurs, tant d'erreurs. Si je regrette des choses? Vous n'avez pas idée Valriel!

Phèbe trempe un orteil dans les tourments de son cœur, le flot des remords, la douleur de ses pertes, la culpabilité de ses actes... L'étau de glace dont elle avait oublié la présence se rappelle à elle. Comme un souffle pour cristalliser ses maux. Elle reprend d'un ton plus rude, critique d'elle-même:

- Pourtant il faut être réaliste. Si c'était à refaire, je doute que mes décisions soient différentes. Je suis turpide Valriel. J'ai fais ce qui devait être fait pour m'en sortir, sans penser à ce que cela faisait de moi. Cela à un prix, dans cette vie où dans une autre: je devrais le payer.

Elle se tue, hésitante à répondre à la dernière question. Qu'est qui fait tenir une femme comme elle?

- Si vous avez eu du mal à trouver la frontière entre le bien et le mal, c'est parce que dans notre monde, il n'existe rien de tel. Juste le chaos. Ce monde est naturellement beau. Les Hommes et les Mers le salissent de leurs peurs et de leurs incompréhensions, mettant des personnes telles que vous - ou moi - face à des choix. Mourir ou survivre... Je pense que vous ne devriez rien regretter. Vous avez fait le seul choix qui comptait vraiment à ce moment, voilà tout. Mais ça, vous le savez déjà, n'est-ce pas ?

Il jette un regard circulaire sur les alentours. Le calme de la nature l'avait toujours apaisé. Il ferma les yeux et inspira profondément, les sensations affluant dans son corps, l'odeur de la terre humide, du soleil sur les pierres. Étrangement, c'étaient là les seuls instants où il n'essayait pas de traduire ce qu'il ressentait en pensée.

- Si ce chaos qui nous entoure n'existait pas, nous pourrions simplement profiter de cet endroit sans plus y réfléchir.

Il rouvrit les yeux, posant ses pupilles sur la Brétonne.

- Peut-être que, si je vous fascine tant, c'est parce qu'au fond, vous savez que je vois le monde tel qu'il est. Sans filtre. Que je vous regarde et que je n'éprouve ni dégoût, ni haine, ni jugement. Que je sois capable de vous voir, vous. Peu importe les cicatrices. Peu importe ce que vous avez fait.

Fasciner? Était-elle fasciné? Elle lui rendit son regard. Incapable de comprendre ce qu'il pouvait ressentir, incapable également de lui transmettre ce qu'elle ressentait.  Il y a derrière ce concept une attirance irrépressible du prédateur qui vous domine d'un regard. Était-elle en train de tomber une fois de plus dans le piège vicieux d'une dépendance? Était-elle incapable d'offrir quoique se soit à Valriel? Était-elle simplement inutile et faible? La douleur de ce doute se planta encore plus profondément. Elle n'était pas nécessaire. Personne n'avait besoin d'elle. Son regard se durcit.

- Et que voyez-vous? Que voyez-vous qui vous motive tant à me combattre?

- Vous combattre ?

Le mot le heurta de plein fouet. Il avait mené de nombreuses batailles et il passait tout son temps sur ses gardes. Mais en ce moment, il ne se battait pas. Il s'était livré et s'était efforcé de lui donner ce qu'elle voulait, curieux de sa réaction. 

- Phèbe, je n'étais pas en train de vous combattre. Croyez-le ou non, mais j'essayais de vous comprendre, car au fond, vous m'intriguez. Vous vouliez de l'honnêteté. Vous vouliez me voir. Peut-être est-ce parce que je suis un elfe et que je suis d'un naturel méfiant que vous-même, vous pensez que je n'aspire qu'à avoir le dessus. Sachez que ce qui m'anime et m'animera toujours, par-dessus tout, c'est de saisir l'essence des choses qui m'échappent.

Il se baissa pour ramasser les bandages laissés au sol. 

- Mais peut-être craignez-vous de réaliser qu'au fond, je ne suis pas la créature glaciale et cruelle que vous vous étiez figuré que j'étais. Comme vous, je respire et aspire à vivre. Comme vous j'ai aimé et j'aime encore. Mais comme vous, je ne suis pas encore libre. 

Avec soin, il entreprit de remettre les bandages autour de son visage.

- Vous, glacial et cruel? Ce n'est pas ainsi que je vous perçois. Vous n'êtes ni froid ni ardent, puisque chacun vous correspond. Vous, vous êtes la tempête qui gronde, l'orage qui monte, l'ouragan en embuscade.

Elle le regarde se masquer et soupire. Il n'était pas l'heure d'être fière et tenter de lui tenir tête. Elle avait déjà trop fait. A contre coeur elle admet:

- Je vous remercie pour aujourd'hui.

"La tempête qui gronde...". Il trouva la métaphore poétique. Il lui jeta un rapide coup d'œil. Elle n'avait pas l'air ravie, mais les choses s'étaient mieux passées qu'il ne l'avait espéré. Un poids quitta ses épaules. "Oui, tu es vraiment un fichu parieur... Valriel."

- Je ne vois pas bien pourquoi vous me remerciez. Je n'ai pas vraiment l'impression que mes réponses vous plaisent.

Il tourna son regard vers la ligne d'horizon : la matinée était déjà bien avancée et le soleil allait vers son zénith. Il devait encore parler à Mazar pour tenter d'apaiser les tensions et accomplir ses tâches habituelles. Il envisagea la perspective de cette journée avec réticence. En cet instant, il serait bien resté ici quelques heures. Seul.

- Je vais ouvrir un portail et vous raccompagner à la Citadelle.

Il s'apprêta à faire les mouvements, quand il s'interrompit à la dernière minute. Lui tournant le dos, il lui demanda doucement :

- Avant que nous ne rentrions, puis-je vous demander... qu'avez-vous ressenti en sondant mes pouvoirs ?

Phèbe fut ravis qu'il ne puisse pas voir son visage car à cette instant car elle aurait bien été incapable de garder constance. Elle ressentis dans son ventre la sensation comme si elle y avait goûté un instant avant. Jubilatoire? Excitant? Inébriant? Grisant? Extatique? Jouissif? Rien dans son vocabulaire ne semblait pouvoir la décrire. Elle fut accablée par la honte. Elle n'aurait jamais du faire ça. Pourquoi ne regrettait-elle pas une seule seconde?

Elle avala sa salive avec difficulté. Si elle mentait le saurait-il? Mais plus important, aurait-elle l'occasion de le ressentir à nouveau? Elle se figea en contemplant le sentiment de déjà vu. Non! Elle retombait dans le piège! Elle s'interdit d'approfondir la question. C'était à exclure l'un comme l'autre. La bouche sèche elle chercha un réponse mesurée:

- Une sensation nouvelle.

Il ne put réfréner une expression narquoise sur son visage. Haussant les sourcils, il se retourna pour lui adresser un regard entendu.

- Vraiment ? Une sensation nouvelle ? C'est comme ça que vous le décririez ?

Il marqua une courte pause, paraissant chercher ses mots. La situation l'intriguait d'autant plus que Phèbe était minimaliste.

- J'en déduis que je ne suis pas le seul à garder des secrets. Cependant, je n'insisterai pas. Allons, rentrons, je ne vais pas vous faire passer d'interrogatoire.

Il ouvrit le portail et adressa un geste de la tête à Phèbe pour lui signifier que la voie était libre.

La brétonne s'approcha d'un pas du portail en soupirant de soulagement.

Un fourmillement dans le bas de son dos remonta jusqu'à sa nuque. Un chaleur s'épanouit dans sa poitrine. Elle se sentais attirée par le portail. Pas physiquement, non: mentalement. Elle voulait y entrer, elle en avait besoin. La magie de Valriel encore en elle résonnait avec celle du portail. Si elle le passait... elle imagina l'extase de plus tôt et paniqua immédiatement. Si il se passait la même chose que juste auparavant?! Elle regarda l'elfe avec terreur et lança (un peu trop fort):

- J'ai quelque chose à faire!

Oubliant complètement qu'elle n'arrivait pas le matin même à faire de la magie, elle ouvrit grand les bras fissurant l'espace. Un crevasse pourpre et violine apparut instantanément avec un petit appel d'air sinistre. Elle la franchis sans plus attendre et elle se cicatrisa en laissant une odeur de souffre et un claquement sinistre.