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Général Patafouin
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Concerto pour deux voix Empty Concerto pour deux voix

Sam 5 Fév - 13:10
Concerto pour deux voix Concer10

Phèbe croisa ses propres yeux dans le miroir. Gris et tourmentés, ils étaient fortement cernés. Ses traits étaient tirés de fatigue et de contrariété, elle se surprit à se sentir bien plus âgée qu’elle ne l’était. Elle leva ses bras sans conviction pour observer les manches larges de sa robe. Elle se sentait ridicule dans cette tenue d’apparat et mordit sa joue en regardant les nombres d’apanages. Elle se rendait ce soir à un concert à Lillandril. Elle avait déjà eu l’occasion d’arpenter la ville, elle avait côtoyé la faune locale, oui avec cette robe riche et pompeuse, elle se fondrait dans la masse.

Elle baissa les yeux sur le plateau laqué de la coiffeuse. Elle effleura du bout de doigts le papier qui s’y trouvait, comme si elle craignait de se brûler :


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Elle ignorait qui était l’expéditeur, elle ne voyait personne qui puisse lui faire un tel présent et Mazar aurait pris deux places. Elle aurait habituellement abandonné l’invitation dans l’amoncellement de cadeaux qui était envoyé à la Guilde pour obtenir leur faveurs, mais… Le papier lui avait été spécifiquement envoyé. À elle. Hors, elle attendait depuis un moment des nouvelles de quelqu’un.

Un signe, le moindre signe. 

Alors elle l’avait pliée et dépliée au point d’en user le papier pourtant d’excellente facture. Finalement, elle avait décidé que le meilleur moyen d’en avoir le cœur net c'était de s’y rendre. Si Valriel acceptait de la rencontrer, elle ne voulait pas rater cette chance. Même si cela impliquait de s’exposer au yeux de tous, désarmés et sans défense. Elle se rassure : Il ne la blesserait pas. Elle voulait croire qu’il ne le ferait pas.

Phèbe soupire, passe ses mains sur son visage. Elle était complètement dépassée par la vitesse à laquelle les événements avançaient. Elle n’en pouvait plus de se sentir déchiré entre son devoir, la volonté de son esprit et les certitudes de son cœur. Elle saisit des boucles d'oreilles, les enfila, passa un sautoire autour de son cou et rangea le papier dans un pan de ses froufrous.

Elle chercha la présence rassurante de sa pochette remplie de pierres runiques puis se leva. Elle était prête. Il était temps d’y aller. Laissant un mot à Mazar pour lui signifier où elle se rendait, elle disparut dans un portail.


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Son portail la transporta dans la ville de Lillandril, près du port, tandis que le soleil déclinait à l’horizon. Un peu partout, dans la ville de marbre, des affiches annonçaient l’exceptionnel concert qui était sur le point de se donner et elles menèrent Phèbe devant un grand bâtiment doté de nombreux vitraux, face à la mer, où la foule se pressait. De nombreuses personnes élégamment vêtues - des Altmers pour la plupart - se dirigeaient vers les grandes portes à double battant ouvertes, tandis que le personnel vérifiait les invitations.

La pyromancienne ne se pressa pas pour rejoindre l'intérieur. Elle étudiait la foule, tentant d'apercevoir la personne qu'elle espérait reconnaître. Elle s'intéressa à la zone pour voir comment quitter bâtiment et s'il était protégé. Elle guettait des gardes et des sorts. Finalement après avoir une dernière fois remis les épingles qui maintenaient la complexe sculpture capillaire sur son crâne, elle présenta sa place à l'entrée. Elle scruta le visage du vigile pour guetter la moindre expression à la vue de son invitation. Celui-ci inspecta rapidement son parchemin avant de la dévisager de pied en cap avec circonspection pour finalement hocher la tête en annonçant :

  • Bienvenue ma Dame. Vous pouvez avancer, sur votre droite. Bon divertissement.




À l’entrée d’une autre salle marquée par de grands rideaux de velours vert émeraude, un second vigile inspectait les invités, vérifiant l’absence d’armes et de sortilèges. Des agents de la Poursuite Divine patrouillaient aux alentours, s’assurant qu’il n’y ait pas de débordements. Il fit signe à la pyromancienne de s’arrêter avant d’entrer.
  • Simple contrôle. Les effets personnels qui pourront vous être confisqués vous seront remis après le spectacle. Si vous détenez des armes, merci de me les présenter.




Phèbe s’y attendait. L’inverse aurait été surprenant. Elle avait pris le bâton de Caelïn, malgré les recommandations d’Elia, car elle savait que sa puissance serait décuplée si… si toutefois cela s’avérait utile. Les voix étaient donc revenues ainsi que la présence malfaisante du vide. Cependant, elle avait enveloppé le manche de son arme pour ne pas être en contact avec et les effets ne dureraient pas quand elle s’éloignerait. Elle passa ses doigts sur l’ourlet de sa manche et fit rouler la pierre qui s’y cachait avec anxiété. Tout se passarait bien. Elle n’en aurait pas besoin.


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Elle traversa un grand corridor richement décoré avec des portraits de plusieurs mètres de haut. Les appliques murales impressionnantes éclairaient l’espace et des tentures épaisses calfeutraient ses pas. Plusieurs portes menaient dans la salle, en consultant son numéro de siège, un valet l’orienta vers la bonne. La salle gigantesque comprenait une vaste estrade où un orchestre complet s’accordait dans ce bruissement caractéristique que seul un amateur pouvait affectionner. Derrière eux des vitraux exceptionnels se paraient de fabuleuses couleurs alors que les rayons crépusculaires les traversaient. Les musiciens chauffaient leur instrument, leur souffle et leurs doigts, tandis que les spectateurs affluaient lentement pour prendre place. 

Phèbe demeura immobile en bas de cette fourmilière un instant. Ceci, n’était pas son univers. C’était flagrant. Était-elle seulement une fois allée dans ce genre de lieu ? Finalement, elle entreprit de trouver sa place en consultant les inscriptions sur les rangées. Au fond de la salle, à côté du siège qui lui est attribué se tenait un Mer au visage familier, élégamment vêtu d’un pourpoint de brocard bleu brodé de fils dorés qui observait la scène, se tenant bien droit dans son fauteuil, les bras croisés, le visage fermé.


C’est en le voyant ainsi qu’elle réalise pourquoi il semblait si familier. La première fois qu’elle avait vu son visage, il lui avait assuré qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés. Mais soudain dans ce décor avec cette tenue, elle imaginait enfin où elle avait pu le croiser. Ici, au Couchant, à l’une des réceptions de Galia. Elle s’assoit en posant le mieux possible sa robe et lit le programme qu’on lui avait remis à l’entrée. Elle ne savait pas quoi lui dire. Elle ne savait pas par où commencer.

Des valets passèrent alors le long des coursives adjacentes pour souffler les chandelles et le lieu fut peu à peu plongé dans une rassurante pénombre, tandis que la clameur des discussions animées se faisait moins présente et que les derniers spectateurs prenaient place. Sans même tourner la tête vers elle ou lui accorder un regard, il lâcha, machinalement :

  • Vous êtes venue.


  • Visiblement.


  • Le sarcasme ne vous sied pas.


  • Je ne pensais pas que vous accepteriez de me rencontrer, abandonna Phèbe sans cacher son soulagement.


  • Je ne pensais pas le vouloir moi-même. Mais si je perds mon temps, au moins aurai-je pu écouter de la belle musique.


  • Vous avez raison je ferais mieux d'en finir au plus vite, une dague dans le ventre en n'en parlons plus, railla-t-elle.


  • Ce serait fort dommage de gâcher une si belle soirée et un si bel habit de la sorte. Et puis, je pensais que vous vouliez me parler.




Il prononçait ses habituelles plaisanteries, mais son ton était froid et cassant. Il ne semblait pas vouloir détacher son regard de l’orchestre. Phèbe à l’inverse  tourna la tête vers lui. Elle n’avait que faire du concert qui ici aurait lieu et toute son attention était portée sur lui. Il semblait très différent, elle ne savait pas sous quel angle l’aborder. Elle choisit un ton neutre et calme :

  • Alors vous êtes vraiment Aesril ?


  • Navré de vous décevoir. Je me doute que le brave petit Valriel était un personnage bien plus plaisant.


  • Je ne sais pas, je ne connaissais que ce rôle. Vous, je ne sais rien de vous sinon ce que Elia et Zéphyriel prétendent.


  • Au contraire. Vous connaissez plus de ma véritable personne que vous ne le pensez. C’est une des raisons pour lesquelles ma curiosité m’a poussé à accepter votre demande.





Il marqua une pause avant de retourner subrepticement son visage dans sa direction, baissant les yeux vers elle.


  • Pourquoi vouloir me rencontrer, Phèbe ?




Comme le concert semblait sur le point de commencer, elle baissa d’un ton pour répondre :



  • Je voulais vous poser des questions. En fait, non, je voulais avoir votre version. Je sais ce que les Compagnons disent, ce qu’ils ont déduit. Pourtant… je veux savoir ce qu’il en est.


  • Ah oui ? Et c’est aussi pour cela que vous me faites suivre, je suppose ? Pour vous assurer que je ne vous couvre pas d’une autre couche de mensonges, lança-t-il à voix basse, mais avec amertume. Je dois avouer avoir du mal à comprendre votre démarche.


  • Vous suivre ? Phèbe fronça les sourcils, Comment ça vous suivre ? 


  • Vraiment ? C’est avec moi que vous voulez jouer à ce petit jeu ? interrogea-t-il, sévère.


  • Un jeu ? Vous pensez que j’ai le temps de jouer ? persifla-t-elle, Si je pouvais vous suivre, vous pensez vraiment que je serais passée par Mélicendre pour vous contacter ? 


  • En effet, ce serait une manœuvre sacrément tordue. Peut-être pourriez-vous m'expliquer comment ceci est entré en ma possession, dans ce cas.



Il tira une petite pierre ronde de l'intérieur de son habit et la présenta à Phèbe pour la déposer dans sa paume. Il se pencha à son oreille pour murmurer distinctement :

  • Vous avez traité Mélicendre avec respect et considération, de ce que l'on m'a rapporté. À cet égard, je vous accorde donc une chance d'être honnête envers moi. Et peut-être alors, répondrai-je à vos questions. Et cette fois-ci je ne tenterai pas de masquer la vérité. Si toutefois, c'est cela que vous venez chercher. 



Phèbe observa la pierre, sa pierre, sa rune. Elle ferma le poing. Elle en possédait plusieurs identiques, elle le posait habituellement dans une cargaison qu’elle voulait pouvoir retrouver. Comment celle-ci… ? Non. Elle savait, Mazar lui avait rapporté que son tiroir avait été fracturé. Elle serra la mâchoire.

  • C’est bien moi qui ai enchanté cela. Mais je ne l’ai pas utilisé, vous pouvez vérifier, je ne porte pas la jumelle… Où l’avez-vous trouvé ?


  • Dans le pli d’un de mes vêtements. Lorsque je me suis rendu à une réception que j’organisais. Bien, je vais donc supposer que cela ne vous dit rien ?


  • Une réception ? J'ai l'air d'être le genre de personne à aller dans une réception ?




Il appuya son regard sur elle, insistant sur la coiffure structurée et la robe sophistiquée.

  • Dans cette tenue ? Oui. Bien que vous vous y seriez certainement autant ennuyée que moi. Mais je vous soupçonne plus d’avoir envoyé quelqu’un pour effectuer le travail. Comme un vieux Bosmer fouineur qui se croirait assez malin pour pouvoir me voler dans mon propre domicile.




Phèbe se figea. Feladir. Son visage s'assombrit. Qui d'autre aurait pu voler cela et être assez bête pour foncer dans la gueule du loup ? Ce sombre idiot ne changerait jamais.

  • Ne me croyez pas si vous le voulez, je n'ai pas l'habitude de déléguer ce genre de tâche. 


  • Comme je n’ai aucun moyen de vérifier que ce que vous dites est vrai, je vous laisse le bénéfice du doute. Il y a à mes yeux trop de zones d’ombre dans cette histoire pour que je puisse me permettre d’émettre une opinion sans appel.




Il ramena son regard vers la scène, l’air imperceptiblement plus apaisé, le regard plus détendu, croisant les mains sur ses jambes.


  • Bien. Je vous écoute, Phèbe. La femme aux mille questions.


  • Vous avez infiltré les Compagnons, pourquoi ?


  • Pour semer le trouble. Défaire les fils de l’étoffe déjà décousue de cette organisation dont vous faites tous partie. Remettre en question vos liens et la confiance que vous vous portez les uns envers les autres. Et amener Elia à réaliser l’instabilité de son monde, elle aussi.


  • C’est pour cela que vous avez sympathisé avec nous tous ? Pour mieux nous briser ?


  • Phèbe, je n’ai pas besoin de vous expliquer cela. Vous étiez déjà brisés.


  • Pourquoi Elia ? Je vous ai trouvé ivre devant sa porte il y a longtemps, vous vous êtes même mépris en me voyant… Mais je comprends aujourd'hui que j’étais complètement passé à côté de la situation. De ce qu’elle dit et de ce qu’elle omet : elle vous hait.


  • Parce que j’ai besoin d’elle pour un projet de longue date. Et elle a besoin de moi si elle veut décupler ses pouvoirs. Je la connaissais bien avant qu’elle n’intègre cette guilde ridicule. Et si elle me hait, c’est parce qu’elle est persuadée que je lui ai fait porter le chapeau de délits que j’ai commis.


  • Et ce n’est pas le cas ? ajouta Phèbe plus pour faire la conversation que par réel intérêt.


  • Non, répondit-il simplement en rabattant son regard sur le spectacle. Êtes-vous satisfaite ? Je dois avouer ne pas bien comprendre ce que vous êtes venue chercher auprès de moi ce soir. Avez-vous quelque sympathie pour ma personne ou cherchez-vous à me piéger d’une quelconque façon ? Car j’ignore quel intérêt mes réponses peuvent avoir pour vous. Un acquis de conscience, peut-être ? Vous vous demandez où doit se placer votre moralité, votre loyauté ?


  • Je me demande quel a été mon rôle dans votre double jeu, annonça-t-elle avant même qu’il eut prononcé la dernière syllabe.





Elle semblait plus tendue que jamais alors qu'elle le regardait toujours, les mains grattant avec tourment le velours des accoudoirs. Elle était sourde au spectacle, aveugle à sa beauté, insensible à la sérénité ambiante. Elle parlait avec une diction articulée et tranchante qui ne masquait pas la retenue avec laquelle elle s’appliquait à conserver son sang froid.



  • Je vous savais brillant et manipulateur alors en réalisant que c’était dans le but de nous détruire je n’ai pu m'empêcher de penser que cette curieuse entente entre nous n'était qu’un nuage de fumée, que j’ai été crédule et que ce n’était que de subtiles manœuvres de prestidigitateur. Alors dites-moi, n’étais-je qu’un pion ? Un pion avançant dans vos habiles mains de marionnettiste ? Ai-je, comme la naïve Ivy, simplement suivi le son de la flûte du joueur qui fait danser les rats à sa guise ? N’étais-je qu’un atout de plus dans votre main, perdu entre un roi de pique et un valet de cœur ?


  • J’aurais aimé que vous soyez le pion que je vous destinais à être. Mais ce n’est pas votre genre, n’est-ce pas ? 





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Il put sentir les épaules de la brétonne se relâcher mine de rien et sa respiration se libérer.




  • C’est ce que j’aime à penser, cependant ça n’aurait pas été la première fois que j’aurais été aveugle à ma propre faiblesse. Quel pion aurais-je pu devenir ?


  • Une autre personne sur l’échiquier qui m’aurait permis d’atteindre mes objectifs. C’est pour cela que j’ai participé à votre sauvetage. Je pensais que vous me seriez utile d’une façon ou d’une autre. Mais à la place de ça, vous n’avez été qu’un grain de sable dans l’engrenage. Et je ne savais pas comment me défaire de vous. Je sais que cela n’en a pas l’air, mais c’est un compliment, vous savez. 


  • Et maintenant quoi ? Ils veulent tous votre mort, mais êtes-vous seulement plus proche de votre objectif ? Qu’allez-vous faire ?


  • Ils sont nombreux ceux qui ont voulu ma mort et pourtant, je suis encore là. Et oui, tout ce travail a été payant. À présent, ce n’est qu’une question de temps. J’ai d’autres affaires à mener en attendant, quoi qu’il en soit. Mais je ne compte pas attendre sagement que vos amis viennent me retrouver pour mettre ma tête sur une pique. Lorsque mon objectif sera terminé, je vous rendrai Silgrid et vous n’entendrez plus jamais parler de moi.






Phèbe repensa à la pauvre nordique, une bonne âme, elle souffrirait sûrement de cet emprisonnement bien après avoir été libérée. Puis un autre visage flotta dans son esprit : Une cascade d’onyx, deux joyaux topazes, beauté et malice qui complétait un tableau plein de mystère. 


  • Et Mélicendre ?






Subtilement, la ride entre les sourcils de l’elfe vint se froncer quelque peu à l’évocation de ce nom. Sans tourner la tête, il baissa ses pupilles vers Phèbe.



  • Quoi “Mélicendre” ?


  • Qu'allez-vous faire à son propos ?


  • Rien du tout. Elle est mon associée, pas mon esclave. Elle est libre de suivre son propre chemin.


  • Vous avez détruit sa vie autant que les Compagnons, maugréa-t-elle, vous ne comptez pas prendre vos responsabilités ?





Cette fois-ci, il parut vraisemblablement irrité, car il tourna son visage vers elle pour la toiser avec un mépris appuyé. À mi-voix, il parla alors avec une rapidité déconcertante, d’un ton sec et à la diction étonnamment fluide.


  • J’ai détruit sa vie ? Avez-vous bien regardé sa vie, au moins, Phèbe, vous qui avez un si grand cœur ? Une prostituée tellement écœurée par la vie qu’elle préfère se perdre dans un rituel hautement dangereux pour s’arracher les sentiments plutôt que d’avoir à regarder la laideur. Une divinatrice talentueuse qui passe à côté de ses capacités et se réduit à des prédictions de bas-étage pour le premier idiot venu qui souhaite savoir s’il obtiendra la main de sa promise ? Lorsque vous avez retiré le joli vernis de sa vie, il ne reste plus rien qu’une personne déjà brisée. Peut-être l’ai-je mise en danger, mais aujourd’hui, elle utilise ses pouvoirs à leur plein potentiel, elle se développe et affronte les événements avec force. Si vous vous sentez si mal pour elle et sa vie, pourquoi n’iriez-vous pas en discuter avec vos charmants compagnons qui ont détruit sa demeure à deux reprises et l’ont privée d’un endroit où vivre et de sa source de revenus ? Si vous étiez si intelligents et vertueux, vous auriez compris que c’est à moi qu’il fallait vous en prendre et non à elle. Et ne venez pas me dire que j’ai détruit la vie des Compagnons. Votre semblant d'harmonie n’était qu’une illusion dans laquelle vous avez tous apprécié vous perdre.



Phèbe ne se laissa pas intimider par son discours et ne se démonta pas. Ivy, Elia, Mélicendre, apparemment il avait un don faire éclater les convictions des jeunes femmes impressionnables. Peu importe ce qu’il en disait, elle ne lui pardonnerait pas ce qu’il arrivait à la divinatrice.



La pyromancienne ne se laissa pas non plus chalouper par la colère quand il parla des Compagnons. Comme elle l’avait mentionné, elle les tenait tout aussi responsables de la situation de la divinatrice. Phèbe avait depuis quelque temps déjà une foule de remise en question sur cette institution. Puis, la femme se laissa une seconde pour douter : dans la voix d’Aesril, cette émotion… était-il sous le charme de la gitane ou simplement trop investi ? 



  • Aurais-je touché une corde sensible ? Pourquoi une telle virulence ?





Il étouffa un rire sardonique, une expression moqueuse sur le visage.




  • Une corde sensible ? Oh, je vous en prie. Je suis un maniaque, un sociopathe, une créature dangereuse. Les monstres n’ont pas d’autre émotion que la rancœur ou la colère. Non, je n’apprécie tout simplement pas l’hypocrisie de vos propos. Vous semblez tous tellement persuadés de valoir mieux que moi. Vous avez tous tué au moins une fois pour survivre et même parfois, par plaisir, même si aucun d’entre vous ne l’admettra jamais. Sauf peut-être vous Phèbe, voilà pourquoi je suis déçu. Je croyais que l’on se ressemblait en un sens. 






Elle ne trouva dans ses propos aucune réponse à sa question, elle ne vit pas non plus le lien avec ce qu’elle disait. “Moi hypocrite, je ne vois même pas en quel sens.” murmura-t-elle. Peut-être était-elle usée, peut-être était-il aussi lunatique qu’on le prétendait. 



  • Vous êtes déçu ? Je suis venu ici pour avoir l’occasion de comprendre. Je voulais avoir les cartes en mains pour faire mes choix et les assumer. À la place, vous commencez par m’accuser de fourbes manœuvres pour vous faire tomber avant de sans arrêt me cracher au visage sans même vous donner la peine de me faire preuve de respect. Alors ne pensez pas être le seul qui soit déçu ! Je pensais… Visiblement je pensais mal.






Subrepticement, un voile vint obscurcir son front et, finalement, il tourna complètement la tête vers Phèbe pour observer son expression. Il baissa le regard sur ses genoux, songeur, avant parler avec lenteur, soupesant ses mots.



  • Je n’ai jamais été très doué pour me faire des amis, vous savez. Et avec le temps, j’ai fini par nourrir un scepticisme pour toute chose. Je suis navré si vous pensez que je vous ai manqué de respect. Ce n’était pas mon intention. Peut-être aviez-vous dressé de moi un portrait plus reluisant que ce que je suis véritablement. Mais c’est au nom de l’estime que je vous porte que vous êtes ici ce soir.


  • Oh ne jouez pas à l’enfant battu avec moi. Vous savez très bien ce que vous valez et je ne suis pas sûr qu’on puisse souffrir d’un manque d’amabilité à votre âge, (quel qu'il soit). Pour en revenir à Mélicendre, reprit la pyromancienne qui décidément n’en démordait pas, vous avez intérêt à ne pas jouer avec sa vie comme avec celle d’Ivy. Sinon je vous jure que j’irais retourner votre tombe pour vous tuer.





Il poussa un profond soupir, levant les yeux au ciel. Il ne put se retenir de protester d’un timbre bas.



  • Par Auri-El… Ces chamailleries ne cesseront jamais. Je m’ouvre à vous, vous m’accusez de jouer. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas en quoi le sort de Mélicendre vous importe tant. Fut un temps, vous sembliez même persuadée que c’était elle qui avait une influence néfaste sur ma personne. Vous êtes donc venue me sermonner d’être un vilain garnement, une fois de plus ? badina-t-il, cette fois-ci, un sourire franc sur le visage, tant il était désormais incapable de ne pas déceler le comique que présentait la situation à ses yeux.


  • Figurez-vous qu’il n’est pas impossible que deux personnes qui soient indépendamment bien, n’aient pas une mauvaise influence l’une sur l’autre.



Précisa Phèbe qui restait persuadée que Mélicendre en effet aurait pu dissuader Valri… non, Aesril, de changer de voie et qu’elle ne l’avait pas fait. Tout comme elle pensait que sans lui, Mélicendre aurait encore longtemps poursuivi la même existence… Pour le meilleur ou pour le pire. Car l’Altmer avait raison sur un point, son sort n’avait rien d’enviable. 


Puis Phèbe eut un sourire triste. Non, elle ne pouvait pas le sermonner simplement comme elle l’aurait fait à la Citadelle. Elle aurait tant voulu revenir en ces temps. Aesril savait-il à quoi ressemblait leur Guilde à présent ? Probablement, puisque c’est ce qu’il cherchait a priori. Oh, elle avait d'autres questions à lui poser. Mais voulait-elle des réponses. Oserait-elle demander ? Elle repensa au chaos qui régnait parmi les compagnons. Un chaos que l’on tait, que l’on nie. Peut-être que les dieux les mettaient sur la voie, leur expliquant que tout était vain.

  • Certaines personnes ne sont simplement pas faites pour être ensemble…


  • … Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? questionna-t-il avec circonspection


  • Que j’ai besoin d’air, fit-elle négligemment. Mais dites-moi plutôt… Ce que vous avez fait à Ivy, c’était de la nécromancie ?




Il plaça un index devant sa bouche pour lui signifier de se montrer discrète et répondit d’une voix à peine audible, hochant une fois de la tête.

  • J’ai apposé une marque sur son âme. Elle n’en conservera aucune séquelle.


  • Avez-vous fait quelque chose de similaire sur moi ? la femme n’arrivait pas à contenir la tension dans sa voix.


  • Non. Je n’ai jamais fait que vous soigner. Dans le cas contraire, vous le sauriez. Je n’aurais même pas besoin d’ouvrir la bouche pour m’adresser à vous. 



Elle repensa aux rituels daedriques dont elle avait été maintes fois témoin. Un tic nerveux agita sa jambe. Le sortilège pouvait sommeiller en vous pendant des décennies à attendre le bon instant pour vous détruire. Elle n’avait que sa parole. Elle devrait s’en contenter.


  • Et vous n’expliquez pas l’étrange… lien que je pourrais éventuellement ressentir avec disons… votre énergie ?



Il lui offrit un sourire espiègle, lui lançant un regard en coin.


  • C'est certainement l'alchimie naturellement présente entre nous. 


Il reprit sur un ton plus sérieux.

  • La magie produit parfois des effets surprenants que, même moi, je n'ai pas encore réussi à expliquer…

  • Je… vois, elle ne remit pas en doute sa parole, mais resta silencieuse.



L’elfe la dévisagea un moment, surpris de son silence, elle qui cherchait toujours à lui rétorquer quelque chose.

  • Vous semblez déroutée, Phèbe. Que se passe-t-il ?

  • Vous ne le seriez pas à ma place ?

  • Voilà que vous répondez encore avec une question. Honnêtement, je ne sais pas comment je me sentirais à votre place. Je me demande encore ce que nous faisons là. Nous sommes ici, à ce concert, à discuter calmement. Cela défie toute logique.

  • Ce qui défie tout logique, ce sont vos œillères, mon cher, soupira-t-elle.



Il leva les yeux au ciel, croisant à nouveau les bras sur son torse. La situation paraissait l’irriter et il faisait tressauter sa jambe avec impatience.

  • Pour une fois, rien qu’une fois, ne pourriez-vous pas cesser de jouer à la plus maligne et vous exprimer de façon simple ? De quelles œillères parlez-vous ? De toute évidence, quelque chose m’échappe. 



Phèbe se délecta de comprendre que pour une fois, il était impatient et qu’il semblait perdu. Mais une fois cette seconde passée, elle se pencha pour appuyer ses coudes sur ses genoux et joignit ses mains. Elle expira profondément en fermant les yeux et reprit d’un ton grave.


  • En venant ici, je scellais ma décision de ne pas me positionner comme un ennemi. Vous comprenez ?


Elle marqua une pause pour l’emphase.

  • J’ai déjà exprimé à Mélicendre mon désir de lui venir en aide. Pour vous, je pense que ce serait premièrement irresponsable et deuxièmement dangereux. Je ne peux pas vous aider dans votre entreprise. Peut-être cette proposition vous semblera futile. Cependant, si d’aventure vous n’aviez plus d’issue, que vous étiez à court de possibilité… que vous étiez désespéré… Si vous aviez sincèrement besoin d’aide…  Je ne serais pas loin. Sachez qu’aussi longtemps que votre détresse sera sincère, il vous restera un allié sur cette terre.



Il ne tourna pas la tête vers elle. Pas tout de suite. Il demeura un instant dans cette posture rigide qu’il adoptait si souvent, les yeux perdus dans ses pensées. Ces mots qu’il avait soupçonnés de sa part, elle les prononçait finalement. Il finit par plonger son regard dans le sien durant une longue minute, comme s’il sondait la véracité de ses propos avant d’esquisser un imperceptible sourire et de répondre très doucement :

  • Cette fois, j’en suis certain : vous êtes folle, ma chère.



Toutefois, il prononçait ses mots sans animosité ou raillerie. Phèbe resta comme toujours mi-fascinée, mi-angoissée, par les iris elfiques aux proportions immenses. Elle n’avait rien à ajouter, rien à préciser. Il n’aurait probablement que faire de sa proposition, trop d’orgueil pour se tourner vers elle. Folle… Oui, c’était sans doute cela. Mais qu’importe, au moins était-elle en paix avec elle-même. Elle se torturait depuis des jours et des jours, hésitante, incapable de savoir quelle décision prendre. Devait-elle saisir l’occasion de trahir Aesril? Devait-elle lui ouvrir son cœur ou garder ça pour elle ? Qui trahirait-elle ? La Guilde, Mazar… ou elle-même ?

Elle était sereine à présent. Bien ou non c’était cela qu’elle devait faire. Oui, c’était la meilleure chose. Elle joua avec le bracelet à sa main gauche, hésitante pendant une seconde, avant de machinalement répéter l’adage ;

  • Heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière.



L’elfe eut alors un comportement inhabituel : il continua de l’observer un moment avant de fermer les paupières et de souffler de l’air par le nez, les lèvres pincées dans un rire qu’il tentait de réprimer, les épaules agitées de légers soubresauts. Il s’apaisa quelque peu et répondit finalement, souriant franchement :

  • Vous avez bien raison. Que voulez-vous… Entre fous, on s’attire. Oh, voyons, ne soyez pas si sérieuse. Je ne suis pas complètement aveugle, vous savez. 



Il jeta un coup d’œil à la scène, reprenant avec sérieux.

  • Si vous avez accepté mon invitation, si vous êtes venue sans escorte, si vous prenez la peine de me parler une fois de plus, je me doute que cela n’a rien d’anodin. Même si je ne saisis pas toutes les raisons qui vous ont poussée à agir ainsi, sachez que j’apprécie ce geste et que je ne le prends pas à la légère. J’imagine le courage que cela a dû vous demander. Et je suis heureux que vous l’ayez fait. Enfin, disons-nous les choses clairement, Phèbe.



Il rabattit à nouveau un regard chargé d’intensité sur elle, comme il en avait pris si souvent l’habitude, lui signifiant ainsi la solennité de son geste.

  • Dans un autre temps, dans d’autres circonstances, nous aurions pu vraiment nous entendre. Et je ne crois pas que cela soit complètement impossible aujourd’hui encore. Je ne vous promettrai pas d’être toujours là pour vous, car je ne sais pas si j’en serai capable. Mais je respecte votre audace et ce que vous êtes, et ce, malgré le fait que vous avez une incroyable propension à me faire sortir de mes gonds. Alors, pour l’heure, soyons alliés. 



Concerto pour deux voix I3OcuDUBoUtoJDj-74Z7BS86evWah9LHAPSjaOTJdHAgM0KS6WDjcPt0bO2UFiL0ifPBcvZL_I8XSVAIPESsfkNQIYP6-YdqUPJeb7vAMRt_q6FY5k88vtg9_BcmH6d1i35Q0ljJ

Sans la quitter du regard et tandis que les musiciens faisaient frotter les cordes de leurs instruments avec un peu plus d’impétuosité, l’Altmer lui tendit alors une main assurée, la laissant en suspens devant elle. Curieusement, elle n'était pas certaine de la marche à suivre. On sert la main d’un collaborateur pour sceller un marché, le fait-on dans ses circonstances ? Ce geste symboliserait-il vraiment cet effort que tous deux avaient fait ? Alors sans se départir de son sérieux, elle saisit la main qu’il lui tendait. Elle songea : “Il a tort. En d’autre temps, en d'autres circonstances ? Je n’aurais pas été moi, il n’aurait pas été lui. Jamais il n’y aurait plus qu’il n’y a à présent.” Il serra la main dans une étreinte ferme, pressant doucement ses doigts contre la peau et, avec malice, il en profita au passage pour lui transmettre un peu de l’énergie qui circulait en lui, comme une plaisanterie qu’il se faisait à lui-même, avant de la relâcher, l’air résolu.

  • Merci d’avoir partagé cette mélodie à mes côtés. Comme quoi, parfois, il reste un peu de beau. C’est important de le voir et de le saisir lorsqu’il se présente à nous.



À ces mots, il se hissa au bord de son siège, ajusta son pourpoint, ganta ses mains et se releva tranquillement avant d’effectuer une brève révérence, comme il l’avait souvent fait du temps des Compagnons.

  • Au revoir, Phèbe Valtergi.



Elle le gratifia d’un regard sévère, comme elle l’avait si souvent fait. 

Au revoir, Valriel Ad Caern.  Non : Adieu… Adieu Valriel, au revoir Aesril.

“Hum” concéda-t-elle à lâcher avec un mouvement de menton. Son attention se reporta sur la scène, imperméable, elle ne laissa rien paraître de sa mélancolie ou de son trouble. L’orchestre jouait un passage des plus guillerets à des années lumières de ses tourments. Elle aurait été bien incapable de distinguer un instrument d’un autre et n’appréciait certainement pas la complexité de l’œuvre.  Elle se fit violence pour ne pas suivre l’Altmer du regard. Dans l’ourlet de sa manche, Phèbe fit rouler une dernière fois la pierre que Zéphyriel lui avait confiée. Elle aurait pu si simplement bouleverser la donne, le livrer et libérer Silgrid. 
Elle n’en fit rien. 
Le concert continua et Phèbe demeura en silence bien après que la dernière note ne se soit tue.
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