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Lilyth
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Une flagrance de nostalgie Empty Une flagrance de nostalgie

Jeu 17 Fév - 23:25
Phèbe profitait depuis des mois de ce que chacun aurait pu qualifier de retraite. Elle tenait une échoppe sans prétention où elle vendait du bric à brac. Phèbe avait à cœur de conserver l'étendue de sa fortune secrète et nul au village n’aurait pu soupçonner Mazar et elle auraient pu facilement financer la rénovation du hameau tout entier. Cependant elle avait payé comptant ce fond de commerce au grand bonheur de l’infortunée héritier à qui appartenait ce gouffre financier. Autrefois confiserie où nul ne mettait les pieds, la brétonne ouvrit une droguerie ou chacun pouvait trouver des commodités de petites nécessité.

C’est vrai qu’au début elle n’eut pas un franc succès. Ces talents de gestionnaire et son expérience du commerce ne l'aidaient en rien à attirer les paysans bourrus. Elle avait davantage comme objectif de s’occuper que de faire fortune et par conséquent n’avait pas l’intention de se battre pour gagner la confiance de ces gens, ces montagnards farouches qui la regardaient de travers depuis le jour où elle avait mis un pied ici. Sans Mazar, elle aurait probablement baissé les bras en les traitants de de tête de mules obtus et rétif, d’hommes des cavernes opiniâtres et réfractaires. Heureusement, cela finit par leur passer. Les montagnards ronchons n'étaient pas méchants. Ils se méfient des autres, voilà tout. Phèbe ne pouvait qu’approuver. 

Finalement, là où Mazar était la coqueluche des ménagères et des familles, Phèbe devint la copine de tous les vieux chnoques du coin. Belote du Sundas et schnaps du Tirdas finirent par rythmer ses semaines alors que les vieilles branches mettaient un point d’honneur à poser leur chaises devant sa vitrine pour railler toute la journée les passants et s’enquérir du moindre ragot.

Son mari observait souvent que Phèbe aurait dû proposer ses talents d’enchanteuse dans le coin, mais elle refusait catégoriquement. Le spectre du passé planait au-dessus de sa tête. Elle craignait que toute la vallée soit au courant et qu’on les retrouve ainsi. Ce n’était pas ce qu’elle souhaitait. Aussi belle soit sa magie, cela ne lui avait apporté que des problèmes. Elle continuerait à l’utiliser dans l’intimité de sa chaumière, mais elle ne vendrait pas ses services. Point final.

La brétonne avait fait rapatrier de l’auberge du Lion Heureux l’intégralité de ses affaires. Elle n’avait plus l’intention d’y mettre les pieds. Il n’y avait que quatre caisses remplies de fouillis malmenés par le voyage et elle aurait vite fait de les trier. Il y avait beaucoup de documents de la guilde, des rapports inachevés, des copies de missions et des ordres divers. Mais aussi ses propres carnets. Des dizaines et des dizaines de feuillets brochés à la hâte dans lesquels, suivant les consignes d’Elia, elle s’était entraînée à écrire en relatant ses pensées. 

Quand elle tomba sur les passages concernant Valriel, son cœur se serra. Parfois ses pensées dérivent vers lui, elle se demandait si les choses allaient comme il l’espérait et si son plan vers la réalisation du projet d’une vie portait ses fruits Elle parcourait les pages où elle avait rassemblé ses observations personnels quand glissa un croquis sommaire de la vue de la première demeure des Compagnons. Surement lui avait-il donné alors qu’elle le rencontrait sur les remparts, ou peut-être l’avait-elle trouvée trainant dans le dortoir. Elle caressa l’image avec nostalgie, ses doigts furent noircis par le charbon. De tout ses écrits, elle ne conserva presque rien.

Dans le même carton elle trouva les copies que Ganzaëlle avait fait du dossier concernant la menace de la Citadelle. Concernant Aesril. Elle hésita peu avant d’allumer une flamme dans sa main une flamme bleue et de consumer les preuves accablantes concernant ses expérimentations et ses recherches. C’est ainsi qu’elle découvrit un paquet dont elle avait oublié l’existence. Elle défit le lien de cuir et le papier de chanvre de Manille pour trouver un étrange ensemble d'objets qui ne lui appartenait pas. Elle se souvient avoir dû vider les affaires de Valriel et avoir tout stocker en attendant de savoir quoi en faire. Elle s'apprêtait à jeter le tout quand elle tomba sur un carnet. Dedans, elle découvrit des croquis par douzaine des Compagnons. 

Elle n’avait jamais été sensible à l’art, ceci la touchait plus qu’aucun chef d'œuvre. Phèbe parcourt les pages d’une autre vie, envahis par la mélancolie. C’était les dessins de Aesril, avec des notes dans une langue qu’elle ne saurait déchiffrer. Peut-être n’était-il pas un artiste, elle ne saurait le dire. En tout cas, si le talent consistait à transmettre une émotion, il était sans aucun doute doué. c’était une vision sensible de ce que l’Altmer avait vu, sans artifices, sans fioriture. Il y avait dessiné des gens, des paysages et surtout les instants de la vie et ses détails imperceptibles. Il y avait des scènes en tout genre, les compagnons échangeant des histoires au coin du feu, partageant une pinte à la taverne ou joutant amicalement dans la tour. Ici Ivy le doigt sur les lèvres plongée dans une lecture, là Fait-le-plein-de-soupe s’attelant à sa tâche, plus loin Elia une coupe à la main, le regard indéchiffrable. Et elle, Phèbe Valtergi, dans une expression tendre, un sourire discret au lèvre, persuadé que personne ne regarde. 

La brétonne ne put se résoudre à se séparer du carnet et le conserva précieusement avant d’ouvrir les autres caisses. Elle accélara le mouvement, il n’y avait rien digne d’être garder. Ce n’était que du bazar accumulé ou des souvenirs d’un passé malhonnête. Rien dont elle est à présent besoin. Elle eut vite fait de tout jeter. Après avoir mis en pièce les caisses afin qu’elles alimentent le feu, elle passa le balais pour éliminer la poussière. Elle allait revenir au rangement des quelques livres qu’elle avait conservé quand elle s’immobilisa. 

Oliban. 
Narguilé.
Et une pointe de magnolia…

Les senteurs s’engouffrent dans son cerveau et harcèlent sa mémoire pour la ramener 15 ans en arrière. Des pièces calfeutrées, des rires et des chants, le son de la mer. Phèbe tourne sur elle-même, d’où venait cette odeur? Elle fouille la pièce en quête de la trace presque imperceptible. Plus elle cherche la provenance, moins elle lui semble identifiable. C’est finalement sous un meuble d’entrée que la brétonne trouva le pan déchiré d’une tunique qui depuis longtemps n’était plus en sa possession. Il avait dû glisser là alors qu’elle sortait les caisses à débarrasser. 

Elle vit rouler le tissu rose entre ses doigts pour ressentir le reliefs des broderies qui formaient de petites feuilles. Elle approcha son visage pour inspirer longuement. Le parfum envahit ses narines et quand il caressa le fond de la cavité révéla l’odeur de Galia. Le joyau des elfes. Elle lui manquait. Elles avaient partagé 10 ans d’une amitié sincère et épanouie comme on n’en trouve pas deux dans une vie. Comment avait-elle pu gâcher ça? Par fierté? Phèbe enfouie plus encore son visage dans le haillon qu’elle avait on ne sait comment transporté jusqu’ici. Depuis combien de temps ne s’étaient-elles pas vues? Elle repensa à la circonstance de son départ, la dispute sur le port, les menaces de Galia, le retour de Feladir. Tout était parti de travers et comme d'habitude c’était de sa faute. 

Idiote. Idiote idiote idiote! Pourquoi n’écoutes-tu jamais personnes…

Les échos de la dispute se mirent à résonner dans son crâne.

  • Tu cours, tu cours, sans jamais t’arrêter.
  • Pas du tout! 
  • Oh mais si Phèbe, tu ne me trompes pas. Tu es une chienne née avec laisse au cou et depuis que tu as filé de ton collier, tu es un animal fou qui court! Tu cours, tu cours! Comme la chienne qui découvre l'étendue du monde. Semblant de liberté, en réalité tu cours mais tu ne sais pas où aller! Tu es une chienne errante, fleur du soir, qui a besoin d’une main pour la nourrir. Rien d’autre.
  • Ramassis de conneries! Je suis libre, personne ne peut plus s'enchaîner.
  • Sauf toi.
  • Quoi?! enragea la brétonne alors que Galia continuait,
  • Tu as mis tes propres chaînes ma belle, je ne saurais dire si ce sont les remords ou la haine qui les constituent mais crois-moi tu es aussi loin de la liberté que possible. Tu as besoin de barreaux alors tu les as construit.
  • Besoin de barreau?! Tu es une malade et tu m’attaques pour te sentir mieux, voilà tout!
  • Oh oh oh ah ah! 
  • Qu’est ce que ça dit de toi hein! Prisonnière des erreurs de tes parents! Esclave de leur héritage! 
  • D’où crois-tu que je tiens mes certitudes, belle pousse?



Sa désinvolture, sa légèreté, Phèbe ce jour-là ne put les supporter. 

  • Vieille chouette taré, cesses tes jeux d’esprit!
  • Tu t'énerves parce que tu sais que je dis vrai. 
  • Mais pourquoi tu t’en prends à moi aujourd’hui?! s’énerva Phèbe
  • Pourquoi tu ne peux pas m'autoriser à être heureuse alors?
  • Quoi?
  • Compagne si têtu, sais-tu seulement ce qu’est le bonheur?
  • Mais bien sûr que oui!
  • Non je ne crois pas, pouffa Galia en gloussant
  • Cesse de rire!
  • Au rugueuse Phèbe, tu n’as aucune idée de ce qu’est le bonheur et tu as trop peur d’y goûter. Tu te punis dans la misère émotionnelle la plus pitoyable. Tu es si faible que tu préfères ne rien ressentir pour t’épargner la douleur de nouvelle épreuve.
  • Tu n’en sais rien!
  • Tu es un pleutre, Fleur du soir.
  • Je peux être heureuse!
  • Oui!
  • Je le ferai!
  • Tu échoueras!
  • C’est faux!
  • Tu ignores tout du bonheur!
  • Ce n’est certainement pas toi qui me le donnera!
  • Nous voilà d’accord!
  • Je le trouverais seule!
  • Ignarde, s’il suffisait de le chercher, tous le trouverait.



Galia avait alors attrapé le menton de Phèbe pour la forcer à la regarder.

  • Toi qui t’épanouit au crépuscule, jamais ne donnera de fruit. Tu embrasses le malheur et embrases la destruction. Tu es stérile, enfant du chaos!  Rien ne pousse sous tes pas, je te promets l’échec, je te promet la décéption, je te promet la malchance, femme du désordre. Tu es attiré par l'abîme, tu es l’amante de la détresse. 
  • Je te croyais mon amie mais tu ne vois en mois qu’un… qu’un…
  • Monstre.



Phèbe se recula brusquement brûlante de haine, les voix du bâton lui ordonnant de l’immoler. Galia le visage déformer par le dégoût:

  • Je vois un monstre. Tu es un monstre, Phèbe Valtergi. 
  • Non, c’est faux! Sale…
  • Insultes moi si tu veux, mais je dis vrai. Tu veux être malheureuse, tu veux être punie par le destin, tu n’es pas prête à vivre, vivre vraiment, vivre pour toi! Tu ne veux pas du bonheur, il t’emplit d’effroi quand il caresse ta joue!
  • Je n’écouterais pas une seconde tes mots absurdes.
  • Vas-y brûles moi, fais le, déchaîne les, les flammes de ton essence, vas-y.
  • Tu n’as pas à me prier!
  • Et quand ça sera fait, part l’air satisfait, sans surtout jamais te demander pourquoi tu l’as fait!
  • Tu cherches encore à m’embrouiller!
  • Oui la méchante, terrible Galia Finlimier, menteuse et manipulatrice! Jamais ne dit un mot vrai! cria-t-elle en prenant une fois criarde et hystérique, Voilà ce qu’elle te dit la folle: tu te mens, ma jolie, et tu sais très bien pourquoi tu veux laisser le feu me dévorer!



Les mains devenaient intenables, soif de mort et de sang. La brétonne n’avait aucune idée de comment les stopper mais elle ne les écouterait pas. Phèbe tournait les talons rageur et Galia haussa la voix pour ajouter:

  • Tu cours, tu cours, cours vers le danger. Mais un jour, tu seras rattrapé par ce que tu fuis, fleur du soir.



Ce fut la dernière fois qu’elle se virent.

Elle trouva l’ironie profonde, elle avait intégré la Guilde pour donner tort à ses détracteurs et voilà qu’elle avait fini par la quitter leur donnant raison. Elle ne trouverait pas le bonheur. Elle rit sans joie, profondément amer. Galia avait toujours eu raison depuis le début. Pourquoi son orgueil lui empêchait-il de l’avouer?

Pour la première fois, elle se demanda pourquoi elle ne lui avait jamais envoyé de lettre. La brétonne se retourna brusquement, abandonnant ses tâches pour s’afférer à son bureau. Elle sortit précipitamment son nécessaire d’écriture et pesta quand elle renversa de l’encre par  mégarde sur des papiers qui trainaient là. Elle fouilla pour trouver un papier à lettre convenable, Galia aurait détesté la tristesse d’une page blanche ou la sobriété d’une enluminure. Il y avait d’ailleurs peu de chance qu’elle l’ouvre si ça ne lui attirait pas l'œil. Elle choisit l’unique page d’un papier bleu pastel orné de motifs anguleux. Elle leva sa plume et … rien. Elle ne savait pas quoi écrire, il y avait tant à dire.

Elle resta assise si longtemps à chercher les mots que Mazar eut le temps de rentrer. Il déposa un baiser sur son crâne sans la déranger. Il reconnaissait les symptômes. Quand il la trouvait devant son écritoire, immobile dans la pénombre c’est qu’elle n’avait pas pris le temps de manger ou d’allumer des bougies. Depuis qu’ils avaient emménagé ici, il lui arrivait si souvent de se perdre dans ses questionnements, sourde à ce qui l’entourait. Mazar lui alluma un feu et posa autour d’elle quelques bougies, sans rien dire il entreprit de cuisiner.
Il fallut un mois pour que la lettre ne trouve son destinataire et encore des semaines avant que la réponse ne revienne. Quand la réponse arriva, Phèbe ne l’attendait plus. Ce n’était pas une lettre, c’était une aquarelle. Des tulipes. Les fleurs de pardon et d'excuses annoncent un nouveau départ. Une preuve de bonne volonté de Galia, un gage de paix. Alors Phèbe leva sa plume pour lui répondre et depuis aucune des deux femmes ne l’avait posée, s’envoyant régulièrement des lettres pour rattraper le temps perdu.
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