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Général Patafouin
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Dorilwën - Le sens du service Empty Dorilwën - Le sens du service

Lun 20 Déc - 18:03
Dorilwën - Le sens du service Z-0312


Laborieuse avait été sa vie. Elle n’avait joui ou brillé d’aucun atout particulier depuis sa naissance. D’aucuns disaient qu’elle était « dans la norme ». Issue d’une famille peu connue, elle n’avais jamais révélé d’aptitudes particulières pour la magie ou l’étude des arcanes, n’avait pas la douceur ou l’élégance que l’on attendait des dames, n’excellait ni aux travaux d’aiguille ou aux ouvrages artistiques de quelque sorte que ce soit et ce, en dépit de ses nombreux efforts. Ses pairs la surpassaient toujours en tout et subtilisaient l’attention qu’elle aurait tant aimé obtenir. Même devenue jeune fille, sa beauté avait été qualifiée de quelconque et d’ordinaire et elle avait toujours été un second choix pour ces hommes qui la regardaient de haut et ne voyaient en elle qu’une épouse tout juste bonne à porter une descendance.


Devant cette outrageuse condescendance, Dorilwën avait décidé qu’aucuns de ces idiots persuadés de lui être supérieurs n’obtiendraient jamais sa main. Les années passant, elle avait nourri une rancoeur et une amertume sévère et avait comblé son besoin d’attention en adoptant elle-même l’attitude méprisante des habitants de l’Archipel de l’Automne, dénigrant ouvertement toute personne qu’elle considérait critiquable par sa médiocrité ou par sa différence.


Malgré tout, une chose égayait son coeur et faisait disparaître tout le ressentiment qu’elle offrait si souvent aux autres : son petit frère Elindor. Ce garçon d’une douceur incroyable l’avait toujours remplie de fierté. Elle se targuait qu’il soit si différent des autres Mers qu’elle connaissait. Contrairement à ses pairs, il l’avait toujours traitée avec respect et considération et avait toujours trouvé un mot agréable à lui dire. Il l’écoutait mieux que personne, même lorsque celle-ci s’emportait ou qu’elle se montrait ouvertement désagréable. Et au-delà de cela, il montrait du talent dans tout ce qu’il entreprenait. Dorilwën, loin de le jalouser, voyait en lui l’opportunité de le voir réussir là où elle avait toujours échoué et elle s’était fixé l’objectif de l’accompagner et de le soutenir dans le moindre de ses projets. Aussi, quand il avait décidé d’intégrer la prestigieuse Confédération des Orfèvres d’Alinor, avait-elle été là à chaque instant, lui apportant du thé lorsqu’il était fourbu, négociant les prix des matériaux avec les marchands, vantant ses mérites au quartier des artisans, économisant pour qu’il puisse se procurer le délicat matériel dont il avait besoin, se surpassant toujours un peu plus pour lui apporter de bons repas et veillant à ce qu’il dorme suffisamment. Elle l’avait entraîné durant des heures, avec sévérité pour travailler son élocution et pour qu’il connaisse son discours sur le bout des doigts avant de se présenter au très complexe concours de sélection. Et elle avait bien sûr été la première à le féliciter lorsque celui-ci avait été admis. Elle vantait à qui voulait l’entendre les talents et l’esprit incroyablement brillant de son frère adoré.


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Mais les dieux bien cruels avaient décidé qu’ils ne pouvaient pas laisser à la femme qu’était Dorilwën une si grande source de satisfaction. Sa descente vers le désespoir commença lorsque Elindor rencontra un homme nommé Urcantar. Beau garçon autant que beau parleur, Urcantar était un homme séduisant et très entouré. Il dilapidait sa fortune familiale dans des plaisirs dissolus, dans le jeu et la boisson et trouvait toujours le moyen de se faire entretenir. Mais son plus grand plaisir, c’était le skooma.


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Et c’est un soir, lors d’un dîner rassemblant plusieurs prestigieux Mers d’Alinor, qu’Elindor et lui se rencontrèrent. Urcantar remarqua bien rapidement l’incroyable potentiel d’Elindor, ainsi que sa beauté prude et l’introduisit à son groupe d’amis. Elindor, admiratif, voyait en lui l’homme libéré et spontané qu’il ne serait jamais. Il admirait profondément son assurance et sa facilité à aller vers les autres. Il se sentait admiré et mis en valeur aux côtés de cet homme aux mille charmes. Et bientôt, les deux hommes entamèrent une relation passionnée, intense, mais aussi, incroyablement destructrice. Il initia Elindor au goût du skooma et sous la douceur et l’euphorie des incroyables sensations, il devint bien rapidement dépendant du sucre dont son corps ne pouvait désormais plus se passer.


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Sa soeur voyait bien qu’il commençait à décliner peu à peu, en constatant qu’il délaissait son travail qu’il aimait tant, qu’il rentrait parfois après plusieurs semaines d’absence et qu’il commençait à se comporter de façon nerveuse, taciturne, trait qui ne ressemblait pas au jeune homme doux et réservé qu’il était. Un soir, tandis qu’il revenait d’une de ses nombreuses escapades en compagnie d’Urcantar, Dorilwën avait décidé de prendre le taureau par les cornes et d’obtenir qu’il revienne à la raison. Elle l’avait attendu devant la porte de sa chambre pour être sûre de le surprendre lorsqu’il reviendrait, aidée d’une grande théière de thé bien noir pour la garder éveillée. C’est au beau milieu de la nuit que la porte s’ouvrit. Elindor, ivre et sous l’effet de la drogue puissante titubait et se cogna contre un meuble, les yeux dans le vague. Lorsqu’il gravit les marches, il ne remarqua pas sa soeur qu’il l’attendait dans la pénombre.


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— C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Après tout ce temps sans nouvelles ? Tu sais à quel point je me suis inquiétée pour toi ? Demanda-t-elle, nerveusement.


Elindor manqua de sursauter en l’entendant.


— Qu’est-ce que tu fabriques ?! Tu m’as fichu une de ces trouilles !


— Réponds à mes questions ! Tu as vu l’état dans lequel tu es ?!


— Qu’est-ce que ça peut te foutre, l’état dans lequel je suis ? Te prends-tu pour Papa ou Maman pour me parler comme ça ?


— Elindor ! Par les dieux, mais qu’est-ce qui te prends ?! Tout ça, c’est de la faute de cet homme que tu fréquentes ! Il a une mauvaise influence sur toi !


— Urcantar m’aime plus que personne ne m’a jamais aimé ! Il me voit et me respecte vraiment. Et il n’est pas sans cesse sur mon dos comme si j’étais un criminel que la Poursuite devrait enfermer !


— « Plus que personne ne t’a jamais aimé » ?! Non, mais tu te fiches de moi ! Et que fais-tu de toutes les fois où j’ai été là pour toi ?! Si je ne t’avais pas aidé, jamais tu n’aurais pu devenir un aussi grand orfèvre !


— Je me fiche d’être un grand orfèvre !


Dorilwën tombait des nues. Excédée, elle s’exclama :


— Ah oui ?! Vraiment ?! Tu crois que c’est une meilleure opportunité que de te détruire à coup d’alcool et de skooma ?! Tu dilapides tout l’argent que tu as si durement gagné dans ces bêtises ! Jusqu’où te faudra-t-il aller pour voir que tu fiches ta vie en l’air ?! Si j’avais le quart de ton talent, jamais je ne le gâcherais aussi sottement ! Tu vas finir par te tuer, par Auri-El !




Elindor lança un regard fou, empli de rage à sa soeur, avant de détacher de son ceinturon une bourse remplie de pièces d’or et de la lui jeter à la figure en répliquant avec hargne et froideur :


— Eh bien garde-le ton or et fous-moi la paix.


Dorilwën, était si abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre qu’elle demeura bouche-bée plusieurs secondes et qu’elle ne se vit pas donner la claque qu’elle envoya sur la joue de son jeune frère. Là-dessus, perdant toute conscience, son frère répliqua par un violent coup de poing dans le ventre qui envoya sa soeur tomber à la renverse. Il contempla ses mains, sans comprendre. Dorilwën, la main posée sur son diaphragme, dévisageait son frère, sous le choc.


— Mais… qu’est-ce qui t’a pris ?
— Je… je ne sais pas…


Affolé, il partit en courant vers la sortie, mais il avait oublié la présence des escaliers derrière lui. Il trébucha, dégringolant de tout son long avant de finir sa chute au bas des marches dans un craquement sourd et sinistre, son corps étendu inanimé, un filet de sang s’écoulant hors de son crâne.


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Dorilwën se releva précipitamment et accourut auprès de son frère. Paniquant à la vue de la grande quantité de sang qui se répandait au sol, elle demeura à côté de lui pendant une bonne minute, sans savoir quoi faire, ses mains tremblantes posées au-dessus de son corps. Elle finit par réaliser qu’elle était impuissante dans de telles circonstances et courut à l’extérieur en hurlant à pleins poumons :


— Au secours ! Il est arrivé un accident ! Mon frère ! Il… Il es blessé !


Rapidement des soigneurs arrivèrent à la résidence de Dorilwën, mais leur pronostic était sans appel : même s’ils parvenaient à la maintenir en vie, Elindor serait paralysé. Tous lui conseillaient de mettre fin à ses jours, qu’un elfe paralysé ne serait d’aucune utilité à la société, mais elle ne pouvait se résoudre à le laisser partir. Alors elle utilisa les économies restantes de son frère pour payer les guérisseurs, mais l’état d’Elindor ne s’améliorait pas. Lorsqu’il sortit  du coma dans lequel il se trouvait depuis plusieurs jours, son monde s’effondra. Mais le plus dur, le plus impardonnable pour lui fut le refus d’Urcantar de venir le voir lorsque Dorilwën lui avait expliqué la situation. Le Mer s’opposait catégoriquement à voir son amant dans cet état et fréquentait déjà quelqu’un d’autre, à ce que l’on disait. À ce moment-là, il perdit le peu d’espoir qu’il lui restait. Elindor ne désirait qu’une seule chose : mourir.


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Bientôt, les économies de Dorilwën s’épuisèrent complètement et elle travailla d’arrache-pied pour se procurer les fonds nécessaire à trouver quelqu’un qui puisse soigner son frère. Elle prenait toutes les tâches, même les plus difficiles et les plus ingrates, récurant les sols pendant des heures, nettoyant les pots de chambres, frappant finalement aux demeures des beaux quartiers pour proposer de laver leur linge, de repriser leurs vêtements, même contre une somme infime, pourvu qu’elle gagne un peu d’or. La plupart du temps, les gens y voyaient une opportunité incroyable et se gargarisaient de faire la charité à cette « pauvre Dorilwën » et se donnaient à coeur joie d’user de ses services contre une si modique somme d’or. Elle s’épuisait à la tâche, mais elle ne perdait pas espoir de parvenir un jour à obtenir une somme suffisante pour faire venir d’autres guérisseurs.




Il ne se trouvait qu’une seule porte à laquelle elle n’avait encore jamais frappé. On disait de l’homme qui habitait cette demeure qu’il était solitaire et taciturne et qu’il ne recevait personne depuis la mort de son père, un commandant réputé de la Poursuite Divine. On disait que sa mère avait perdu la raison lorsque son époux avait trouvé la mort dans un incendie criminel provoqué par l’un de ses plus fidèles officiers. Une histoire sordide. Mais cela ne la découragea pas pour autant. Elle avait besoin de travailler et elle était convaincue qu’une aussi grande et vide demeure avait bien besoin d’employés.


Alors, elle frappa à la porte. Une première fois. Mais personne ne répondit. Elle frappa à nouveau. Toujours rien. Elle ne sut pourquoi, mais elle insista, encore et encore. Elle n’en pouvait plus de ne pas arriver à voir de fin ou de solution. Elle n’en pouvait plus d’attendre, de quémander. Elle ne savait tout simplement plus quoi faire d’autre pour s’en sortir. Plus quoi faire à part taper son poing sur cette porte comme si sa vie en dépendait. Et lorsque la porte s’ouvrit, elle avait presque oublié ce qu’elle faisait là.


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Un Mer, d’une cinquantaine d’années, les cheveux blonds foncés, la barbe taillée de près la dévisageait avec sévérité, sans décrocher le moindre mot, les lèvres serrées. Il ne portait pas les habituels atours colorés du Couchant, mais un pourpoint noir sobre et très ajusté, aux boutonnière dorées et dont le col remontait très haut sur son cou. Il tenait à la main de petits instruments cuivrés qu’il nettoyait dans une pièce d’étoffe grise. De toute évidence, elle le dérangeait au beau milieu d’un ouvrage. Elle ne se départit pas de son aplomb, cependant et s’annonça selon les convenances, exécutant une brève révérence, bien que celle-ci manquait de souplesse :


— Bonjour Monsieur, je me nomme Dorilwën et je viens vous proposer mes services en tant que domestique.
— Est-ce Carelian qui vous envoie ?
— Euh… non, je suis venue par…
— Dans ce cas, je ne suis pas intéressé, je cherche une personne de confiance.
— Mais… Je suis très diligente à la tâche, vous savez, je suis tout à fait capable et… je ne vois pas ce qui vous fait dire que je ne suis pas quelqu’un de confiance !
— Je ne vous connais pas, répondit-il en commençant à refermer la porte.
— Raison de plus pour ne pas me juger ! Répliqua-t-elle vertement. Je ne l’ai pas fait pour vous, pourtant, je vous trouve hautement désagréable.


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Il arrêta son geste pour mieux la regarder et détailler ses vêtement dépenaillés et ses traits tirés. Elle affronta son regard un moment, avait de baisser les yeux sur la poignée de la porte, excédée. Elle avait la très désagréable impression d’être sondée et l’indélicatesse du comportement de son interlocuteur l’insupportait. Elle fut presque surprise qu’il lui réponde.


— Vous avez de l’expérience dans l’entretien d’une demeure ?
— Oui, Monsieur, répondit-elle, le sourire pincé, s’efforçant de rester aimable.
— Vous savez cuisiner ? Coudre ? Repriser ? Entretenir la marqueterie, les tissages, le cristal et l’argenterie ?
— Euh et bien oui… Ce n’est pas de la grande cuisine, mais je prépare des plats pour mon frère depuis des années et il semble…
— Bien. l’interrompit-il. Revenez demain à huit heures précises. Ne soyez pas en retard.


Et il referma la porte sans même attendre sa réponse.





La première réaction de Dorilwën fut de s’offusquer du comportement tout à fait abject et irrévérencieux de cet homme dénué de manières. Et tandis qu’elle regagnait la chambre qu’elle louait à pas pressés et fulminait en se disant qu’elle n’accepterait jamais de travailler pour une personne pareille, elle s’arrêta finalement brusquement, les poings serrés. Elle lui prouverait à cet impertinent qui lui aussi semblait se croire meilleur qu’elle qu’elle était une personne de confiance. Aussi se trouva-t-elle à nouveau devant sa porte à huit heures tapantes. Cette fois-ci, il lui ouvrit sans plus attendre.


— Bien. Vous êtes à l’heure.
— Comme convenu, répliqua Dorilwën, irritée.
— Entrez. Suivez-moi.


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Il la fit entrer dans un petit vestibule sombre avant de la mener sans plus attendre dans un grand hall doté d’un magnifique escalier de bois ancien. Nulle chandelle ne venait illuminer les lieux, mais Dorilwën pouvait déjà apercevoir sur les meubles à la patine passée et sur les cadres des nombreux tableaux une bonne couche de poussière. Il flottait dans l’air une odeur de vieux livres, de noix, de feu de bois et de cire de bougie froide, comme si les lieux étaient déjà plongés dans le souvenir de ce qu’ils étaient autrefois, comme si elle entrait dans le vestige d’une vie lointaine. Elle ne pouvait malgré tout qu’admirer le charme et le luxe fané de cette demeure qui semblait avoir connu des jours meilleurs. « Ce lieu aurait tout de même besoin d’un bon coup de fraîcheur… » songea-t-elle


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Il ouvrit la large porte de bois sombre qui menait à un grand bureau à l’intérieur duquel, sous des rideaux tirés, de nombreuses bougies illuminaient chaque recoin de la pièce. Tandis qu’elle s’avançait à l’intérieur et qu’il en refermait les portes, elle put distinguer l’immense capharnaüm organisé qui meublait ces lieux. Au milieu de la pièce trônait un imposant bureau littéralement recouvert de parchemins et de livres rangés selon une organisation précise ainsi que d’instruments qu’elle ne connaissait pas qui cliquetaient et s’animaient tout seuls, comme par enchantement. Le long des murs s’alignaient jusqu’au plafond de grandes bibliothèques de bois dans lesquelles s’empilaient quantité de livres précieux. Au fond de la pièce, un grand planétaire de métal se mouvait sur un socle et indiquait la position des étoiles par un subtil jeu de lumière. Sur des ateliers et derrière des vitrines étaient soigneusement rangés et alignés pléthore de fioles, d’alambics et de récipients d’alchimie dont certains servaient déjà à la préparation de quelque potion inconnue, les liquides frémissant doucement sous le contact de la chaleur mesurée. Sur un grand tableau de liège étaient épinglés des croquis et des schémas qui semblaient si complexes qu’ils paraissaient être écrits dans une autre langue à Dorilwën.



Il ouvrit largement les épais rideaux qui masquaient les grandes fenêtres, laissant la lumière du matin illuminer la pièce. À voir les nombreuses tasses de thé qui s’accumulaient sur son bureau et la mine fatiguée du Mer, elle se demanda s’il n’avait pas passé la nuit à travailler ici.


— Je vous en prie, asseyez-vous, proposa-t-il en désignant d’une main un grand fauteuil de bois.
— Merci, répondit poliment Dorilwën, quelque peu intimidée.


Elle prit place timidement sur le fauteuil, s’y asseyant tout au bout en détaillant les lieux un peu plus. Elle vit accroché au mur, sur un cadre de bois un insigne doré et elle reconnut immédiatement le symbole ailé de la Poursuite Divine. C’est alors qu’elle se souvint : c’était la demeure de ce fameux Commandant… Comment s’appelait-il, déjà ? Elle ne parvenait plus à s’en souvenir, mais elle savait qu’il était le descendant d’une prestigieuse lignée de Mers et cette pensée l’intimida d’autant plus. Et l’homme qui se trouvait en face d’elle devait être son fils. Elle réalisa qu’elle ne savait même pas comment il s’appelait. Elle osa demander d’une voix faible :


— Hum… Puis-je vous demander votre nom, Monsieur ?
— Aesril.
— … C’est euh… un nom ancien, n’est pas ? Cela vous convient fort bien, les étoiles vous ont été généreuses.
— C’est ma mère qui a choisi mon nom.
— Ah… euh… C’est surprenant chez une personne de votre condition, répondit-elle en baissant les yeux au sol, se maudissant pour son impolitesse.
— Cela vous poserait-il un problème… Dorilwën ?
— Non, non, point du tout, veuillez m’excuser…





Elle se ratatina quelque peu sur son siège tandis qu’Aesril prenait place de l’autre côté du bureau, repoussant quelques livres avec précaution pour libérer une pile de parchemins. Il sortit une plume et un encrier d’un tiroir et commença à noter quelques mots. Sans relever la tête de son parchemin, il reprit :


— Bien. Je vous écoute. Pourquoi cherchez-vous du travail ?


Surprise de la question, elle écarquilla légèrement les yeux.


— Eh bien… J’ai besoin d’or pour vivre, Monsieur, comme tout à chacun.
— Bien sûr. Mais pourquoi faire cela ? Vous ne trouvez pas qu’il y a plus intéressant comme travail que de s’occuper de la demeure d’un autre ? Que vous gagneriez plus à faire quelque chose qui stimule réellement votre intellect et votre savoir-faire ?


Elle se trouva complètement désarçonnée par la façon sans détour qu’il avait de dire le fond de sa pensée. Pourquoi quiconque de sensé irait poser de telles questions si malaisantes ? Elle tenta de reprendre contenance, réfléchissant à une réponse convenable.


— Si, assurément, Monsieur… Seulement… Je ne suis pas sûre d’avoir les capacités nécessaires pour effectuer un emploi différent, voyez-vous… Je ne suis issue d’aucune noble famille, je n’ai pas eu la possibilité d’accéder à des études prestigieuses et… Et… m’occuper des autres est la seule chose que j’aie jamais appris à faire, Monsieur. J’ai besoin de cet emploi, vous savez…
— C’est cela qui vous amène ? La volonté de vous occuper des autres ? Le sens du service ?
— Eh bien… oui.
— Je vois. Et pourquoi devrais-je vous faire confiance pour travailler chez moi ?


Dorilwën dévisagea le Mer qui la regardait désormais droit dans les yeux. Jamais encore on ne lui avait fait passer un tel interrogatoire juste pour quelle puisse récurer les sols et faire les poussières.


— Je… Je ne sais pas Monsieur… Mais quand on me confie un travail, je m’y emploie pleinement, mes précédents employeurs n’ont jamais été déçus !
— Alors pourquoi ne vous ont-ils pas gardé à leur service ?
— Parce qu’ils payaient trop peu, Monsieur… J’ai… J’ai vraiment besoin d’or.
— Je vois.


Il la scruta un moment avant de déposer d’autres mots sur son parchemin. La sensation d’être évaluée terrorisait Dorilwën. Elle ne comprenait pas à quoi rimait tout ceci.


— Excusez-moi, Monsieur, mais… pourquoi toutes ces questions ?
— J’ai besoin de m’assurer que la personne que j’emploie saura faire son travail comme je l’entends et dans les limites que je lui impose, voilà tout.
— … Des limites, Monsieur ?
— Oui. Mon travail est très prenant et je n’aurai pas de temps pour vous surveiller et contrôler constamment que vous faites bien ce que je vous demande.
— Et… Sur quoi travaillez-vous, si je puis me permettre, monsieur ?


Il releva les yeux vers elle, surpris.


— Vous êtes de nature curieuse ?
— Hum… Non, pas vraiment, non…
— Alors vous souhaitiez juste faire la conversation ?
— C’est simplement que… vous avez mentionné votre travail, voilà tout…
— D’accord… Connaissez-vous la Fondation des Recherches Arcaniques et Artefacts Anciens ?
— Oui… j’en ai entendu parler…
— J’en suis le fondateur. J’oriente mes recherches sur des méthodes de guérison. Des recherches qui me sont précieuses…


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Elle regarda à nouveau les nombreux croquis sur le tableau de liège. Des dessins qui détaillaient avec complexité l’anatomie elfique et humaine, montrant des visions de coupe de l’intérieur d’une boîte crânienne ainsi que d’autres organes, coeur, poumons, reins… Les choses commençaient à prendre sens dans son esprit et elle se sentit d’autant plus sotte de ne pas avoir compris plus tôt.
— Et pour cela, si j’emploie quelqu’un, j’aurais besoin de m’assurer de son entière et complète fiabili…
— Cela veut dire que vous soignez les gens, Monsieur ? L’interrompit subitement Dorilwën, réalisant après coup sa maladresse.


Pris de court, il la dévisagea un moment, avant de répondre.


— Hum… Eh bien, oui, fondamentalement, c’est cela. Même si c’est un peu plus complexe que cela…


Elle hésita à poser d’autres questions, craignant d’avoir contrarié son interlocuteur, mais elle lui lança des regards nerveux, ouvrant la bouche, puis se ravisant. Ce comportement n’échappa pas à Aesril qui lui demanda alors :


— Pourquoi ? Cela vous intéresse-t-il ?
— Je… Je me demandais… Vous vous y connaissez en paralysie ?
— Le système nerveux, vous voulez dire ? C’est un sujet sur lequel je me suis penché à de nombreuses reprises. Il semble intrinsèquement relié à l’anima.


Elle n’était pas sûre de comprendre où il voulait en venir ni la nature des mots qu’il utilisait, mais comme il semblait maîtriser son sujet, elle poursuivit, pleine d’espoir, son coeur battant un peu plus vite.


— Et… Avez-vous déjà guéri une personne paralysée ? Demanda-t-elle, fébrilement.
— Non. Mais si le système nerveux est touché, il suffit simplement de sonder l’endroit précis qui cause la défaillance et d’en réparer les tissus.


Le détachement avec lequel il parlait de cela, comme s’il s’agissait d’un simple badinage, la dépassait. Elle persévéra, cependant.


— Cela veut dire que… techniquement… C’est possible… N’est-ce pas ?


Il fronça les sourcils, d’un air suspicieux
— … Oui. Techniquement. Mais j’aurais besoin de voir le sujet pour cela. À moins que toute cette conversation ne soit entièrement hypothétique, ce qui me surprendrait beaucoup venant d’une personne telle que vous.
— Une personne telle que… commença Dorilwën avant de s’interrompre dans un soupir, de crainte de mettre un terme à leur conversation. Je… Non. Cette conversation n’est pas hypothétique. Je parle de mon frère. Elindor, lâcha-t-elle, la gorge serrée.


L’entendre parler de lui avec un terme aussi froid que le mot « sujet » la faisait frissonner. Comme s’il n’était qu’un objet dont on pouvait disposer librement. Comme s’il était déjà mort.


— Je vois, répondit sobrement Aesril en déposant sa plume avec délicatesse.
— Accepteriez-vous de…
— J’aimerais voir votre frère, l’interrompit-il.
— … Vraiment ? Demanda-t-elle estomaquée.
— Oui. J’aimerais l’étudier. Je travaille sur une dernière création qui pourrait tout à fait être secourable à votre frère. Il serait le sujet parfait pour l’essayer.


Son sang battit dans ses tempes.
— L’essayer ? Mais… N’est-ce pas risqué ?
— Le risque est toujours présent, à chaque instant. Est-ce mieux d’essayer ou de ne rien faire, selon vous ?


Elle considéra la question. Elle songea à son frère se laissant mourir chaque jour qui passait, refusant même de se nourrir. Elle songea à l’idée de le voir une fois de plus étendu dans ce lit, s’énervant de tout, se sentant misérable à l’idée d’être assisté jusqu’à la fin de ses jours, refusant même d’avaler le thé qu’il aimait tant qu’elle lui apporte. Les larmes lui montèrent aux yeux.


— Oui… Parfois je me dis qu’il vaudrait mieux qu’il soit… qu’il soit…
— … Mort. Conclut Aesril, voyant qu’elle était bien incapable de terminer


Elle se contenta de baisser les yeux au sol pour seule réponse, laissant perler une larme sur sa robe, les mains crispées sur le rebord de sa chaise. Elle s’en voulait de se laisser aller devant cet inconnu. Mais pour la première fois, elle disait à haute voix cette pensée qu’elle avait si souvent craint d’effleurer.


L’homme bascula en arrière dans son fauteuil et croisa les bras, songeur.


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— Voici ce que je vous propose : je prends votre frère en tant que patient et j’oriente mes études sur son cas. Je ne vous garantis cependant aucun rétablissement, il pourrait très bien perdre la vie. Mais il pourrait aussi très bien marcher et vivre normalement un jour. En contrepartie vous travaillerez pour moi. À plein temps. Cela remboursera les frais que je vais devoir engendrer pour oeuvrer aux soins que j’apporterai à votre frère. Pour plus de praticité, vous résiderez ici-même, car j’aurai besoin de vos services et ce, très fréquemment, ainsi que de votre entière et complète loyauté. Est-ce bien clair ?


Abasourdie, elle cligna des paupières.


— … Euh… Oui… Enfin… Je ne devrais faire que le ménage, c’est cela ?
— Vous vous occuperez de la maison en tant que gouvernante, ce qui implique d’entretenir cette demeure, oui et vous prendrez le soin de m’apporter des repas pour ma mère et moi. Je vous demanderai également de vous occuper d’elle en mon absence.
— Votre mère, Monsieur ?
— Dame Loralia. Elle est… malade. D’un mal incurable.
— Je suis navré de l’apprendre…
— Ne le soyez pas. Nous sommes d’accord ?
— Et… Que se passera-t-il lorsque j’aurai terminé de rembourser ma dette ?
— Vous serez libre partir. Mais si vous faites bien votre travail, vous aurez votre place ici.


Elle parcourut la pièce du regard avant de le ramener dans les deux yeux verts étincelants qui la toisaient avec intensité. Il n’y avait même pas à réfléchir. Pas pour Elindor.


— Je suis à votre service, Monsieur.
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